L’amour, toujours l’amour. Que faire quand l’homme tant désiré en butine une autre ? Il n’y a pas à tergiverser, le temps des habiles ruses et des heureux stratagèmes a sonné. En ressortant des placards cette comédie de dupes en trois actes du dramaturge français, scrutateur invétéré des mœurs amoureuses de son temps, Emmanuel Daumas et les pétillants comédiens du Français font souffler un vent rafraîchissant sur le vieux colombier. Plaisirs gourmands garantis !
Dans un décor blanc immaculé rappelant un atelier d’artiste, Dorante (remarquable Jérôme Pouly) peste fort, enrage. Sa douce et promise comtesse (lumineuse Claire de la Ruë Du Can) ne lui fait plus les yeux doux et refuse de le voir. Avec son valet Arlequin (épatant Loïc Corbery) et la suivante de la belle, l’effrontée Lisette (éclatante Jennifer Decker), il cherche à comprendre d’où vient ce changement soudain d’attitude, d’affection.
De son côté, la pétulante Jouvencelle en a cure. Elle batifole avec le Chevalier Damis (inénarrable Laurent Lafitte), un bellâtre coureur de dots, qu’elle vient de ravir à son amie et voisine, la Marquise (flamboyante Julie Sicard). C’en est trop. Au jeu de l’amour, il y a quelques règles à suivre. Quand les limites sont outrepassées, de bons droits, les amants délaissés se sentent légitimes à fomenter quelques manigances pour retrouver la flamme perdue ou pire se venger. A ce jeu de dupes, l’incandescente Marquise s’avère une fine stratège pour confondre les faux semblants, les aveuglements sentimentaux et remettre les pendules à l’heure.
Avec beaucoup de facétie, d’ingéniosité, Emmanuel Daumas dépoussière cette pièce méconnue de Marivaux, lui donne une force vive, une exubérante énergie qui séduit à tout coup. Soulignant la beauté de la langue du XVIIIe siècle, tout en lui offrant un coup de jeune, un peps acidulé, il fait de ce vaudeville ,à l’intrigue peu originale, un spectacle endiablé, terriblement moderne. En marionnettiste habile, il s’amuse à diriger une troupe d’acteurs virtuoses, les employant à contre emploi pour certains, ou poussant leur nature comique pour d’autres.
Ainsi, Loïc Corbery est drôlement bouleversant en amoureux transi, Jennifer Decker savoureusement impertinente, Eric Gènovèse diantrement séducteur, Julie Sicard machiavélique en diable, Jérôme Pouly tendrement faiseur, Laurent Lafitte un fat gascon plus vrai que nature, Nicolas Lormeau hilarant eu paysan au patois incompréhensible. Enfin, Claire de la Rüe du Can se révèle une ingénue passionnée des plus touchantes et dévoile un jeu tout en nuance et fiévreuse fougue.
Après la résurrection du Petit maître corrigé, il y a deux ans, par Clément Hervieu-Léger, Emmanuel Daumas signe une adaptation fort enlevée de cette autre pièce de Marivaux tombée un peu aux oubliettes et entraîne le public grâce à un dispositif bifrontal dans une folle farandole des sentiments, dans un bal infernal où les masques de la rouerie finissent tous par tomber lors d’un « Happy-End » des plus délectables. Un petit bijou de gourmandise à déguster au plus vite !
Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
L’heureux stratagème de Marivaux
Théâtre du Vieux-Colombier – Comédie-Française
21 Rue du Vieux Colombier
75006 Paris
Jusqu’au 4 novembre 2018 – reprise du 15 novembre au 1er décembre 2019
Durée 1h45 environ
mise en scène d’Emmanuel Daumas
Scénographie et costumes de Katrijn Baeten & Saskia Louwaard
Lumière de Bruno Marsol
Son de Gérald Kurdian
Collaboration artistique : Vincent Deslandres
Maquillages et coiffures de Catherine Bloquère
Avec Eric Génovèse, Jérôme Pouly, Julie Sicard en alternance avec Ameline d’Hermy, Loïc Corbery en alternance avec Stéphane Varupenne, Nicolas Lormeau en alternance avec Christian Gonon, Jennifer Decker, Laurent Lafitte & Claire de La Rüe du Can
Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage, Collection Comédie Française