Après Charlie Chaplin dans « Les Temps modernes », c’est à la chorégraphe d’origine toulousaine, Maguy Marin, de fustiger le monde qui l’entoure, l’itération des mouvements qui transforme l’humain en machine. En guerre contre la société de consommation, les tâches journalières répétitives, elle signe un ballet politique fort, mais qui tourne en rond, tellement le propos est appuyé.
Engagée, Maguy Marin l’est depuis longtemps. En bonne anthropologue du monde, elle scrute la société, ses dérives, ses fêlures, pour mieux les brocarder sur scènes, les mettre en exergue et faire réagir les spectateurs. S’attachant en général à la forme qu’elle a toujours voulue radicale afin de marquer plus profondément les esprits, elle critique ici sans filtre, sans subtilité, notre civilisation qui court follement, absurdement, cupidement à sa perte.
Alors qu’un son sourd, répétitif, amplifié de rouages mécaniques, imaginé par Charlie Aubry, envahit l’espace et enveloppe le spectateur, dans la pénombre, sur scène, des ombres se meuvent, prennent possession des lieux. Imperceptiblement, la lumière se tamise pour dévoiler un immense open-space, découpé de plaques de plexiglass transparentes. Chaque danseur, chaque individu a sa bulle et s’attèle à le remplir une heure durant. Empruntant inlassablement le même chemin, ces zombies humains, apportent au fur à mesure, jusqu’à saturation de l’espace des objets faisant partie de leur quotidien, que ce soit l’essentiel ou le superflu.
Véritables pantins robotisés par la société de consommation qui s’impose à tous, Playbomils perruqués enfermés dans une vie rythmée par le travail, où tout est rationalisé, les danseurs répètent infatigablement les mêmes gestes. Corps meurtris, visages creusés, ils ne peuvent s’arrêter. Parfois, la machine a des ratés, elle s’enraye, repart en arrière, pour mieux reprendre le cours inéluctable des choses. Dans ce fatras, ce monde ou tout s’entasse jusqu’au trop-plein, au dysfonctionnement, les humains ne sont plus maîtres de leurs sentiments, de leur destin. Alors ils s’empiffrent, mangent mal, collectionnent l’inutile.
Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre où veut en venir Maguy Marin. Soucieuse de ses congénères, elle signe, avec Ligne de crête, une critique acerbe et appuyée de la mondialisation, de la surconsommation, une charge virulente, frontale contre l’uniformisation, la virtualisation d’un monde de plus en plus aseptisé. Comme à son habitude, elle épure les gestes, les mouvements afin d’obtenir une écriture chorégraphique réduite, minimale, itérative. Elle s’amuse toutefois. Çà et là, elle glisse des symboles de résistance – un portrait de Karl Marx, la photographie choc du jeune étudiant devant le char de la place Place Tian’anmen en 1989, etc. – pour montrer que malgré tout, ce n’est pas aussi simple.
Disons-le sans détour, les premières images de ce ballet frappent, secouent et réveillent. Malheureusement, sur la distance, la lecture de cette pièce fait de cycles et de boucles s’avère un brin ennuyeuse. Toutefois, le message est passé, un peu trop lourdement peut-être. Mais, après tout, la répétition n’est-elle pas la base de la pédagogie ?
Par Olivier fregaville-Gratian d’Amore
Ligne de crête de Maguy Marin
Théâtre de la Ville – théâtre des Abbesses
31 Rue des Abbesses
75018 Paris
Jusqu’au 6 octobre 2018
du lundi au samedi 20h00
durée 1h00
conception et chorégraphie : Maguy Marin
avec les danseurs de la Compagnie Maguy Marin
travail effectué en étroite collaboration avec Ulises Alvarez, Françoise Leick, Louise Mariotte, Cathy Polo, Ennio Sammarco & Marcelo Sepulveda
Lumières d’Alexandre Béneteaud
Crédit photos © Compagnie Maguy Marin