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Ferdane, la « Dame » de cœur et de sang de Nauzyciel

AU TNB, Arthur Nauzyciel donne vie à La Dame aux camélias

Silhouette évanescente, longiligne, cheveux blonds peroxydés, Marie-Sophie Ferdane se glisse, avec naturel et sensualité, dans la peau de la courtisane, la plus célèbre de la littérature française, et fait chavirer les cœurs. S’emparant de l’œuvre phare d’Alexandre Dumas fils, Arthur Nauzyciel donne vie intensément à la fiévreuse héroïne et invite à un ballet des corps, des âmes dont la beauté charnelle séduit. Immanquable !

Derrière un immense rideau grenat, des ombres se meuvent imperceptiblement, des corps nus s’entrelacent et s’emmêlent. Hypnotisé par cette vision de bacchanales, le public se laisse envahir par une sensuelle torpeur, porter par les mots, les gestes charnels, ces peaux que l’on devine derrière ce voile rappelant quelques maisons closes, quelques lieux de débauches comme il en existait au siècle dernier. Une voix amplifiée par micro rompt la transe. C’est celle du narrateur. Fidèle à la trame du roman, Arthur Nauzyciel propose une immersion en douceur dans le Paris de 1848, le temps des courtisanes, des demi-mondaines qui donnaient le ton aux folles nuits de la capitale.

Dans un écrin rouge, rappelant autant la passion, que la maladie dont est atteint la belle Marguerite Gautier, c’est une mise à mort qui se prépare, le sacrifice du vice à la vertu. Mais derrière les mots, c’est autre chose qui se joue l’innocence que l’on immole au nom de la bien-pensance, de la pudibonderie. Pour que le rituel funeste s’accomplisse, il faut que le temps s’allonge, s’égrène doucement, imperceptiblement. Après tout, ce n’est pas n’importe quoi que l’on tue, que l’on foule aux pieds, c’est un amour fou, pur et sincère, c’est le rêve d’une émancipation, d’une autre vie.

Dame aux camelias_3_Nauzcyciel_TNB_©Philippe chancel_@loeildoliv

En maître de cérémonies, Arthur Nauzyciel, dont c’est la première mise en scène depuis sa nomination, il y a un an à la tête, du Théâtre national de Bretagne, frappe beau et fort. Dans une vision 16/9 du destin brisé de Marguerite Gautier, il convoque avec délicatesse et intelligence l’art de la vidéo, de la danse et de la tragédie. Tout est esquissé. Aucun jeu, n’est appuyé, forcé. Tout se fait avec une sincérité, un naturel qui touche, bouleverse. Pour mieux nous conter cette histoire d’amour autant romantique qu’humaine, fixer dans nos consciences son intemporalité, il privilégie le ralenti. Jouant sur les descriptions des personnages du roman d’Alexandre Dumas fils, il inverse, avec espièglerie ,le physique de ses héros. Ainsi, Armand est petit et brun, Marguerite, une grande liane blonde, sa Dame aux Camélias prend tout d’un coup quelques atours féministes.

Bien sûr, il n’en change pas la fatale issue, mais il esquisse l’importance du désir des femmes et leur incapacité quelle que soit l’époque, quel que soit le pays, où les lois leur empêchent de disposer totalement et librement de leur corps. L’homme veille en bon patriarche à brider envies et aspirations. Soumise à la convoitise masculine, à ses caprices, Marguerite Gautier, la prostituée de haut vol à la beauté fragile, ne peut, pour survivre que l’accepter. Ainsi, elle couche, s’offre pour donner à son quotidien des airs de fête. Pourtant, le rêve d’une existence paisible s’offre à elle. Le songe d’un été, la passion romanesque d’un fils de bonne famille, lui fait oublier un temps sa condition. La terrible réalité la rattrape. Femme de mauvaise réputation, elle accepte de renoncer à son unique amour, le doux Armand, pour sauver l’honneur de sa famille, de prendre à son compte cette décision imposée par le père du jeune homme.

Douleurs, larmes, la maladie, lentement, rattrape son corps fragile. L’espace s’étiole. Le plafond s’abaisse. Ses poumons ont de plus de mal à respirer. Son myocarde bat de moins en moins vite, il semble que l’on entend son souffle dans les rythmes lents de la musique, il se meurt. La jalousie cruelle de son ancien amant, la méchanceté de l’homme blessé dans son honneur, sa passion dévorante, vont achever la pauvre hère, la précipiter insidieusement vers la fin. Aux vociférations du mâle prostré, vont répondre les supplications presque inaudibles d’une femme éperdument amoureuse dont l’honneur, la compassion force le respect.

Dame aux camelias_Nauzcyciel_TNB_©Philippe chancel_@loeildoliv

Envoûté par l’esthétisme mélancolique particulièrement soigné de ce spectacle fleuve, poignant, saisissant, le public exsangue accompagne dans un silence ému la Dame aux camélias, cette horizontale au cœur pur, vers sa dernière demeure. D’ailleurs, comment ne pas être sous le charme, autant sulfureux qu’éthéré, de Marie-Sophie Ferdane, fabuleuse Marguerite ? Jeu lunaire, présence incandescente, la comédienne, ex-pensionnaire du Français, de Pascal Rambert à Marc Lainé, se réinvente et imprime à ses rôles une densité, une intensité rare. Ainsi, en déshabillé de soie crème, dévoilant une chute de rein impressionnante, elle donne des airs troublants de modernité mutine, fragile, à son personnage. Elle est le joyau de ce moment suspendu de théâtre que souligne, avec virtuosité, la très belle mise en scène d’Arthur Nauzyciel et le jeu habité de ses partenaires. Une confiserie aux saveurs d’antan, un roman qui prend vie doucement et ancre son propos subtilement dans le présent.

Par Olivier Frégaville-Gratian – envoyé spécial à Rennes


D’après le roman et la pièce de théâtre La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas Fils
Théâtre national de Bretagne
1 Rue Saint-Hélier
35040 Rennes
Jusqu’au 5 octobre 2018
Les mardis, mercredi et vendredi à 20h00, les jeudis à 19h00 et le samedi à 15h00
Durée estimée 1h45

Reprise
Les Gémeaux – Scène nationale de Sceaux
49 Avenue Georges Clemenceau
92330 Sceaux
du mardi au samedi 20h00 et le dimanche 17h

Comédie de Reims
3, Chaussée Bocquaine
51100 Reims
Du 4 au 5 décembre 2018

Le Parvis – Scène nationale Tarbes-Pyrénées
Route de Pau Centre Commercial Le Méridien
65420 Ibos
du 16 au 17 janvier 2019

TNS – Salle Koltès
1, Avenue de la Marseillaise
67000 Strasbourg
du 28 mars au 4 avril 2019

Adaptation : Valérie Mréjen, Arthur Nauzyciel & Pierre-Alain Giraud
mise en scène d’Arthur Nauzyciel assisté de Julien Derivaz
avec Pierre Baux, Océane Caïraty, Pascal Cervo, Guillaume Costanza,
Marie-Sophie Ferdane, Mounir Margoum, Joana Preiss, Hedi Zada
Scénographie de Riccardo Hernandez
Lumière de Scott Zielinski
réalisation, image et montage film : Pierre-Alain Giraud
son de Xavier Jacquot
costumes de José Lévy
chorégraphie de Damien Jalet

Crédit photo © Philippe Chancel

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