Les corps volent, virevoltent avec une douce et mélancolique lenteur. Les gestes sont en suspension. Une nouvelle fois, Yoann Bourgeois s’amuse de la pesanteur pour conter l’esprit Scala, dont les murs en 150 ans ont vécu tant d’aventures. Pour la renaissance de ce lieu de création parisien, l’artiste circassien signe un ballet itératif et lent qui n’a pas la force de ses œuvres précédentes, mais qui est sublimé par la virtuosité des sept interprètes.
En ce troisième soir de réouverture, après de nombreuses années d’oubli, cette salle ressuscite d’outre-tombe. Son nom brille en lettres électriques sur le fronton. Les regards curieux scrutent cette façade toute en verre et métal peint en gris-bleu profond, couleur qui domine tout autant à l’extérieur qu’à l’intérieur de ce nouveau lieu parisien dédié à tous les arts scéniques. C’est la création de Richard Peduzzi, le célèbre scénographe, à qui l’on doit notamment les décors gris de l’Éveil du Printemps monté la saison dernière par Clément Hervieu-Léger au Français.
Tout est clean, luxe, rien ne dépasse. Les lignes du hall d’entrée et du foyer sont épurées. Trop peut-être. Malgré la foule bigarrée, l’endroit reste un brin austère. La salle est dans les mêmes tons sombres, froids. Après le visionnage d’un petit film rappelant les grandes heures du lieu, ainsi que les plus sombres, le ballet peut commencer. Afin de se fondre dans l’ambiance chic de bon goût de la Scala Paris, Yoann Bourgeois a imaginé un espace en 3D constitué de chausse-trappes, de trampolines de portes dérobées, d’escalier sans fin rappelant les œuvres d’Escher. Plus on est haut dans la salle, plus tout est à vue, enlevant beaucoup aux mystères tant prisés par l’artiste circassien.
Les mouvements sont lents, répétés à l’envi. Chacun des danseurs, des performeurs reproduit les gestes de son prédécesseur, évoquant l’absurdité de la vie dans son itération, son éphémère fugacité. Bien que la ligne semble s’étirer sans fin, donnant à l’ensemble un je-ne-sais-quoi d’interminable, de mélancolique, l’écriture chorégraphique de Yoann Bourgeois rappelle les spleens de Baudelaire, les œuvres de Jacques Tati. Si l’on reconnaît sa pâte onirique dans les corps qui virevoltent, se meuvent avec fluidité afin de déjouer la gravité qui les entraîne inexorablement vers le bas, le lieu, son histoire semble avoir pris le pas sur la création ancrant dans le sol plus que dans les airs son travail sur le monde qui l’entoure, sur le vivre ensemble. Il en résulte une étrangeté, une ambiance plus triste, plus obscure que joyeuse. C’est d’autant plus dommage que le ballet, intitulé Scala, est censé célébré la réouverture d’un lieu mythique connu pour ses frasques, ses fêtes orgiaques, ses soirées coquines.
Ainsi, la chorégraphie de Yoann Bourgeois fait peau neuve à la Scala Paris, lui offre une nouvelle vie sous des ors gris et métalliques qui manquent cruellement de fantaisie. Au-delà d’une petite déception, d’une désillusion due à n’en pas douter à tout l’espoir porté par la renaissance de ce lieu mythique, il faut saluer la performance fascinante des sept artistes (Mehdi Baki, Valérie Doucet, Damien Droin, Nicolas Fayol, Emilien Janneteau, Florence Peyrard et Lucas Struna), qui éblouissent le plateau et donne chaleur et vie à cette scène un peu trop terne.
Ne boudons pas pour autant notre plaisir, si Scala n’est pas aussi aboutie, aussi magique que les œuvres précédentes de Yoann bourgeois, que ce soit Celui qui tombe ou l’exposition vivante au Panthéon, elle est le fruit d’une rêverie, d’un songe. Celui bien sûr de l’artiste, mais aussi celui de deux mécènes, le couple Biessy, sans qui rien n’aurait été possible.
Au fil des représentations, tout devrait s’affiner et faire la part belle aux interprètes virtuoses. tout au long de la programmation qui s’annonce riche et variée, La Scala Paris devrait tenir ses promesses d’un nouveau lieu incontournable des arts scéniques. Alors souhaitons lui, bonne et belle vie !
Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Scala de Yoann Bourgeois
La Scala Paris
13, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Jusqu’au 24 octobre 2018
Le lundi, mardi, mercredi, vendredi, samedi à 21h00 & le dimanche à 15h00
Durée 1h00
Conception, mise en scène et scénographie d’Yoann Bourgeois
assistante artistique : Yurié Tsugawa,
Avec Mehdi Baki, Valérie Doucet, Damien Droin, Nicolas Fayol, Emilien Janneteau, Florence Peyrard et Lucas Struna
Lumières de Jérémie Cusenier
Costumes de Sigolène Petey
Son de Antoine Garry
conception et réalisation de machineries : Yves Bouches et Julien Ciadella
conseils scénographiques : Bénédicte Jolys
régie générale : Albin Chavignon
Crédit photos © Harti Meyer et © Géraldine Arestenau