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Marc Lainé met le feu sous la glace au Français

Au studio de la Comédie-Française, Marc Lainé nous entraîne dans l'enfer blanc de Jack London.

Le froid polaire du Grand nord canadien souffle sur la scène du Studio de la Comédie-Française. Rien, ni personne ne peut échapper à sa funeste morsure. En s’emparant du terrible texte de Jack London, Marc Lainé invite le spectateur à vivre une expérience unique, la confrontation d’un homme perdu dans une immensité hostile, immaculée, à ses erreurs, ses certitudes. Un moment singulier, intense dont la mécanique est encore en rodage.

Dans l’enfer blanc du Yukon, en ce début du XXe siècle, les chercheurs d’or se ruent sur la rivière Klondike, source d’espoir et de richesse à venir. L’environnement est pourtant hostile en cette fin d’année. Peu importe, le froid, – 50 °C, – 75°C parfois, les engelures, les gelures, la peur de mourir gelé, le précieux métal est à portée de main. Pas le choix, il faut y aller, s’armer de courage et de détermination.

Par une journée sans nuage, un homme et son chien s’aventurent, seuls sur les routes enneigées. Leur but, retrouver avant que la nuit tombe le camp de base de ses compagnons, situés non loin du lit du cours d’eau gelée, en contre bas de la vallée. C’est son premier hiver dans cette contrée glacée. Il en connaît mal tous les dangers. Il a bien sûr eu droit aux avertissements d’un vieux sage indien, avant de partir. Mais que nenni. Il est sûr de lui, de son sens inné du risque. Il part donc nez au vent, bille en tête sans se retourner.

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La température mordante, l’air cinglant, le saisit, l’agrippe. Il en a vu d’autres, pense-t-il. Il lutte habilement, fait circuler activement le sang dans ses membres, ses extrémités pour éviter la froidure. À chaque pas pourtant, on se rapproche du drame. La tension est de plus en plus palpable. Un pied maladroitement posé, la glace se rompt. L’homme glisse dans un trou d’eau. Ne pas paniquer. Construire un feu, au plus vite, se réchauffer, ne pas laisser l’humidité avoir raison de lui. Par deux fois, il réussit l’impossible, mais le destin s’acharne. Les flammes s’éteignent. L’issue sera fatale. Devant le regard hébété de son chien, lentement, le souffle de vie se tarit.

Si on se laisse totalement prendre par cette épopée polaire, c’est que Marc Lainé a su nous immerger dans l’univers du roman de Jack London. Grâce à une scénographie ingénieuse utilisant la vidéo, il a transformé la scène aux dimensions réduites du Studio de la Comédie-Française en une gigantesque étendue de neige. Filmant au ras des maquettes représentant des versants montagneux où se sont perdus quelques sapins, il fait entrer le froid glacial dans la salle et frissonner notre épiderme. Pris au piège de ce décor blanc, tout comme le héros de cette tragédie, les spectateurs captivés suivent les errances de ce dernier contées à trois voix.

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C’est l’autre intérêt de cette adaptation, mais aussi son principal défaut : faire porter le récit à travers trois regards, celui du narrateur, celui du chien et enfin celui à peine exprimé du protagoniste de ce drame gelé. Là où un jeu tout en retenue, juste esquissé, aurait permis de souligner avec finesse l’interprétation habitée de Nazîm Boudjenah – son corps, son visage expriment avec justesse les douleurs ressenties, les peurs libérées de toute raison -, Pierre Louis-Calixte et, dans une moindre mesure, Alexandre Pavloff appuient leurs paroles de mimiques, de gestes, de grandiloquences (par trop) superflus.

Il en faut peu pour transformer ces intonations trop emphatiques en susurrements, en murmures, et faire éclater cette tragédie humaine, dans ce qu’elle a de plus bouleversant, de plus sensible, ce questionnement de soi face à la solitude, à l’incapacité de survivre, à la fuite inexorable d’un espoir ténue. Le temps devrait agir et faire de Construire un feu, un spectacle vibrant où la belle langue de Jack London se laisse savourer avec un plaisir quelque peu givré.

Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


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Construire un feu de Jack London
Studio de la Comédie Française
99, rue de Rivoli
75001 Paris
Jusqu’au 21 octobre 2018
Du mercredi au dimanche à 18h30
Durée 1h00 environ

Version scénique, mise en scène, scénographie et costumes de Marc Lainé
Avec Nâzim Boudjenah, Pierre Louis-Callixte et Alexandre Pavloff
Traduction deChristine Le Boeuf
Lumière de Kévin Briard
Vidéo de Baptiste Klein
Son de Morgan Conan-Guez
Collaboration à la scénographie : Stephan Zimmerli

Crédit photos © Vincent Pontet, coll. Comédie-Française

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