Entre amours et désamours, une femme et deux hommes se confrontent et s’affrontent sous le regard triste d’une enfant lucide et sensible. Reprenant à leur sauce un scénario d’Ingmar Bergman, adapté au cinéma par sa compagne Liv Ullman, agrémenté de saillies tirées de la bibliographie du cinéaste, les collectifs tg STAN et De Roovers signent un vaudeville âpre et cinglant qui révèle en creux l’intime des êtres et souligne avec crudité la confusion des sentiments.
Tout commence comme si le public était convié à une répétition, un moment d’improvisation en vue de préparer un nouveau spectacle. Les quatre artistes sont sur scène et attendent les directives du metteur en scène (Frank Vercruyssen). Afin de créer une atmosphère, un point de départ à l’histoire qu’ils vont dérouler sous nos yeux, il propose à l’une de ses comédiennes (lumineuse Ruth Becquart) de se glisser dans la peau de Marianne, une actrice bien installée dans le paysage cinématographique belge, la quarantaine flamboyante. A partir de quelques détails physiques, il lui demande de créer son personnage, de conter sa vie.
Imperceptiblement, on passe des coulisses de la création au cœur de la pièce, au jeu pur. Ainsi, on apprend que Marianne est depuis 11 ans la femme de Markus (Robby Cleiren tout en retenue froide et délicate) un grand chef d’orchestre souvent absent du domicile conjugal, avec qui elle a eu, il y a neuf ans une fille (étonnante Jolente De Keersmaeker). Le couple semble heureux, avoir une vie paisible. Pourtant, un drame se joue dans les silences, les non-dits. Alors que rien ne présageait un adultère, La belle tombe sous le charme de David (jaloux et veule Frank Vercruyssen), accessoirement le meilleur ami de son mari.
Les jeux de cache-cache, les rendez-vous secrets ne suffiront pas. La liaison est découverte entraînant le triangle amoureux dans les affres de la désillusion. Du vaudeville, il ne reste plus rien qu’un goût amer celui de la tragédie. La séparation, le divorce, où chacun fourbit ses armes en utilisant l’enfant comme otage, détruira tout sur son passage. Petit à petit, l’univers ouaté, bourgeois laisse place à un champ de ruine. En s’emparant des textes acides, terriblement défaitistes, d’Ingmar Bergman qui analysent avec une minutie clinique, presque compulsive les comportements des couples, tg STAN, pour sa première collaboration avec le collective De Roovers, croque avec mordant et poésie, l’échec du bonheur conjugal, les avanies de la passion. En jouant toujours de manière décalée pour éviter la routine, le déjà-vu, en passant de la fiction à la réalité en un clin d’œil, il invite à une plongée au cœur du théâtre, de ses artifices, de ses coulisses.
Totalement saisi par la présence de ses comédiens hors normes, intenses et mimant avec justesse la vie, la vraie, le public se laisse embarquer pour chaotique voyage au plus prés de l’humain. Malgré quelques baisses de régime et de petites longueurs, en raison de parties trop narratives, les spectateurs, conquis par le charme attachant de leur accent flamand, sont profondément touchés par l’interprétation tout en finesse de Ruth Bécquart, nouvelle venue dans l’univers singulier et terriblement intriguant du collectif Tg STAN.
Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Infidèles de tg STAN et de Roovers d’après le scénario Infidèles et l’autobiographie Laterna magica d’Ingmar Bergman
Théâtre de la Bastille
76, rue de la Roquette
75012
Paris
Jusqu’au 28 septembre 2018
Du lundi au vendredi à 20h, relâche les samedis et dimanches
Durée 2h10
De et avec Ruth Becquart, Robby Cleiren, Jolente De Keersmaeker et Frank Vercruyssen
Technique tg STAN et de Roovers
Costumes d’An D’Huys
Lumières de Stef Stessel
Traduction du suédois d’Une affaire d’âme d’Ingmar Bergman – Cahiers du cinéma 2002 par Vincent Fournier
Crédit photos © Stef Stessel