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Kamikazes ou le fantomatique et infernal dîner des ombres

Au Buffon, Anne Bouvier donne vie aux Kamikazes de Stéphane Guérin.

Que sont les amis devenus ? Qui viendra donc à ce dîner qui sonne la fin d’une époque, la réminiscence d’une autre ? Là où la mémoire défaille, ou les rancœurs se réveillent, une femme s’entoure de ses proches et les entraîne dans ses songes et fantasmes. Avec finesse Anne Bouvier s’empare du texte fantasmagorique, acéré de Stéphane Guérin, et signe un huis clos âpre, drôle et cinglant.

Sur une scène vide, une femme d’un certain âge (épatante et lunaire Raphaëline Goupilleau) erre, hagarde. Après une longue absence, elle retrouve les murs familiers de son appartement, le charme de sa grande cuisine. Heureuse, elle rêve d’organiser un somptueux et gargantuesque dîner ce qu’elle n’a jamais pris le temps de faire, où elle convierait tous ses proches : son mari tant aimé (attentif et cynique David Brécourt) sa fille Judith (lumineuse et superficielle Julie Cavanna), Thomas, l’époux de celle-ci (ténébreux et énervé Valentin de Carbonières), Dick, son frère homo (sarcastique et amusant Pierre Hélie), Sarah, une amie juive (névrosée et éblouissante Salomé Villiers) et enfin Mattias (enfantin et lourdaud Pascal Gautier), le trublion du groupe.

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Elle l’imagine cette table de fête, grande, rectangulaire. Tous sont là. Ils l’aident à mettre le couvert, à passer les plats. Les conversations vont bon train. Elles se chevauchent, parfois n’ont ni queue ni tête. Il faut dire, ils se connaissent tant depuis si longtemps. Ils ont vécu des moments joyeux, des périodes plus noires, des drames. Malgré tout, entre amour et haine, ils sont toujours restés liés les uns aux autres. Se disputant pour des bêtises ou des divergences d’opinions, les répliques cinglantes chassent les mots tendres, les caresses. Tout déraille. Rien ne se passe comme prévu. Une phrase, une impression, tout devient étrange presque surnaturel. La réalité se fond avec le fantasme, le présent avec le passé, l’actuel avec le souvenir.

Jouant des ellipses du temps, des non-dits trop longtemps tus, Stéphane Guérin s’amuse des mots, les fait se percuter, se répondre en un texte provocant, loufoque et absurde. Avec empathie et finesse, Anne Bouvier donne vie à ses personnages touchants autant que caricaturaux, elle leur insuffle une force drolatique, une puissance scénique. Emportés dans le tourbillon des ressentiments, des réminiscences cauchemardesques, ils hantent le plateau, ces fantômes de chair et de sang. Voguant sur les eaux troubles d’âmes humaines tourmentées, errantes, la table magnifiquement dressée prend des allures de radeau à la dérive. Dans ce naufrage humain, tour à tour drôle, cynique, les comédiens, tous formidables, époustouflants, excellent. Ils nous entraînent dans ce cruel et joyeux foutoir, nous invitent à ce festin de roi.

Petit bijou d’absurdité et de réalité foutraque qui ne laisse pas indifférent, Kamikazes secouent, malmènent et chamboulent et rappellent la jolie vacuité de la vie. Alors pas d’hésitation à Table !

Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore -Envoyé spécial à Avignon


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Kamikazes de Stéphane Guérin
Festival d’Avignon le OFF
Théâtre Buffon
18 rue Buffon
84000 Avignon
jusqu’au 29 Juillet 2018
tous les jours à 21h35 relâches 10, 17, 24 juillet 2018
durée 1h20

Mise en scène d’Anne Bouvier
Avec Raphaëline Goupilleau, David Brécourt, Valentin de Carbonières, Julie Cavanna, Pascal Gautier, Pierre Hélie et Salomé Villiers
Lumières de Denis Koransky
Scénographie : Emmanuel Charles
Costumes : Caroline Martel
Musique originale : Raphaël Sanchez
Chorégraphie : Sophie Tellier
Communication : Dominique Lotte
Production : Jérôme Réveillère
Avec le soutien de : Artcena, Adami et Spedidam

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