Rien ne dépasse. Tout est rangé avec un rigorisme glaçant. Alors que la mort semble emporter les deux vieux amants patriarches, tels des vautours les proches cherchent à débusquer le terrible secret qui les unit afin de se décharger de ce lourd fardeau. S’emparant avec férocité et minutie de ce texte âpre, étouffant de Louis Couperus, Ivo van Hove invite à une course lente, inéluctable, tragique vers un drame funeste où aucune échappatoire n’est possible.
Des silhouettes de noir vêtues, semblant tout droit sorties de quelques tableaux flamands du XVIIe siècle, envahissent un plateau borné de chaque côté par une dizaine de chaises, où chacun va aller s’installer. Enfants, petits-enfants, médecin, tous se retrouvent autour d’un couple de vieux amants pour célébrer le mariage de la belle Elly et du charmant Lot. Derniers de la lignée, ils ont bien du mal à s’aimer, comme si une ombre funeste planait sur leur union. Si le respect, la complicité est bien là, la passion semble absente de l’équation.
Derrière les faux-semblants, les sourires contrits, une vérité sombre apparaît, un crime ancien, commis dans le plus grand des secrets par les deux ancêtres, refait surface. Cet acte tragique enfoui dans les mémoires va éclabousser de sa noirceur tous les membres de la famille et au fil du temps, qui s’égrène avec lenteur au son du tic-tac d’une immense horloge placée en fond de scène, va entrainer dans la tombe, les désirs, les valeurs et les corps. Entaché par ce meurtre, aucun ne trouvera la paix, le repos. Sur fond d’argent et de sang, tous se déchirent, se haïssent jusqu’à ce que leur âme finisse par pourrir et s’enfoncer dans des eaux troubles sans retour possible.
En s’intéressant à ce texte âpre, rugueux du dramaturge néerlandais qui croque avec finesse la société puritaine hollandaise de la fin du XIXe siècle, Ivo van Hove invite à un bal des ombres où la crainte de la mort, le rigorisme religieux, l’appétence obsessionnelle pour le sexe, qui reste un péché, rendent l’atmosphère vite étouffante, suffocante. Ne s’encombrant que du strict minimum, décor minimaliste, mouvements millimétrés, il souligne toute la noirceur de l’œuvre, sa glaçante essence, sa triste mélancolie. Etirant le temps, il restitue avec virtuosité la tristesse, l’abattement, le désespoir qui touchent les âmes corsetées, emprisonnées de cette famille en sursis. Dirigeant avec doigté ses comédiens, tous excellents, il donne une rudesse clinique au propos.
Malheureusement en raison de l’orage menaçant, une partie du dispositif scénique, un jeu de miroirs, n’était pas visible. Qu’à cela ne tienne, les éléments météorologiques déchaînés sont venus renforcer la tension électrique et mortifère qui règne entre tous les protagonistes de ce drame. La pluie battante venant mettre le point final à cette longue litanie, cette satire d’un monde conformiste et austère qui tente de cacher derrière une vertu de façade ses vices.
Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
De dingen die voorbijgaan d’après l’œuvre de Louis Couperus
Festival d’Avignon
Lycée Saint-Joseph
Rue des Lices
84000 Avignon
Juqu’au 21 juillet 2018
Tous les jours à 22h
Durée 2h10
Mise en scène d’Ivo van Hove
Adaptation de Koen Tachelet
Dramaturgie Peter Van Kraaij
Avec Katelijne Damen, Fred Goessens, Janni Goslinga, Aus Greidanus jr., Abke Haring, Robert de Hoog, Hugo Koolschijn, Maria Kraakman, Majd Mardo, Celia Nufaar, Frieda Pittoors, Luca Savazzi, Gijs Scholten van Aschat, Bart Slegers, Eelco Smits
Chorégraphie de Koen Augustijnen
Musique Harry de Wit
Scénographie, lumière Jan Versweyveld
Vidéo Theunis Zijlstra
Costumes An D’Huys
Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage