Danse, cirque, marionnettes, Taïwan exporte, depuis 12 ans, à Avignon, ses arts vivants entre tradition et modernisme. Cette année, les quatre compagnies sélectionnées ont comme particularité d’avoir été créées par des femmes. Quelles en soient les gardiennes, les chorégraphes ou les cheffes de file, elles ont su insuffler à leur troupe une grâce et une force créatrice, qui ensorcèle.
La sélection a été rude, drastique. 23 compagnies ont déposé leur candidature auprès du ministère de la Culture de Taïwan et du théâtre de la Condition des soies, seules trois ont décroché leur ticket pour participer au Festival d’Avignon le OFF, la quatrième étant choisie par les Hivernales, le centre de développement chorégraphique national d’Avignon. Si les billets d’avion, la location des salles, les frais de communications sont financés par l’institution, tout ce qui concerne l’hébergement, le salaire des artistes et la vie sur place est à la charge des troupes. Afin d’éviter le risque de les mettre en faillite, la solidité financière fait notamment partie des critères.
Déjà présente l’année passée, le Tjimur Dance Theatre, compagnie de danse aborigène, qui avait embrassé le festival d’Avignon et fait danser les pierres de la magnifique salle Molière, avec leur pièce, intitulée As Four Step, qui s’était jouée à guichets fermés tout le mois de juillet, revient avec Varhung – Heart to heart, un spectacle intense et bouleversant qui revisite avec virtuosité les danses guerrières et traditionnelles de Paiwan et plonge les trois interprètes dans une transe fiévreuse qui fait ressurgir certains rêves enfouis, certains souvenirs oubliés. Fondée en 2006 par Ljuzem Madiljim, fille ainée d’une famille établie dans le village de Tjimur dans le comté de Pingtung, la troupe est née de son envie de promouvoir l’esthétisme et la philosophie de la culture de l’un des seize peuples autochtones de Taiwan, reconnus par la République de Chine. Revenue sur les terres de ses ancêtres, après avoir obtenu un diplôme de danse de l’une des plus prestigieuses universités taïwanaises, pour enseigner aux jeunes de sa tribu les mouvements, les gestes, les chants qui composent l’art vivant païwanais, elle a très vite eu l’envie de dépasser le cadre de la conservation des traditions pour insuffler à l’ensemble une pointe de modernisme et de danse contemporaine. Entraînant dans l’aventure son jeune frère, Baru Madiljin, devenu rapidement chorégraphe de la compagnie, elle a fait de Tjimur Dance Theatre, la première compagnie de danse moderne aborigène de Taïwan, subventionnée par l’Etat. Après plus de 10 ans d’existence, elle est une des rares du pays à salarier ses danseurs.
Faisant partie des arts nobles de cette île que les Portugais avaient baptisée Formosa, en raison de la beauté enivrante de ses paysages, les marionnettes seront aussi à l’honneur de la délégation taïwanaise. C’est la troupe familiale Jin Kwei Lo Puppetry Company, fondée en 1967 par Ko Chiang Szu-mei, première femme à braver à 16 ans les interdits religieux en se produisant devant un temple, qui présentera sa dernière création, la potion de Réincarnation. Longtemps exclues de ce rite, qui a pour principale fonction d’amuser les dieux, car considérées comme impures, les interprètes féminines souhaitant manier ses figurines, leur donner vie, peuvent toujours s’adresser à cette dame gracile, élégante de plus de 80 ans, qui continue dans l’ombre de ses petits-enfants à gérer d’une main de fer les rênes de cette formation, qui encore aujourd’hui, reste l’une des rares voire la seule à accepter des femmes dans ses rangs. Souhaitant toujours questionner le féminin dans un monde masculin, la Jin Kwei Lo Puppetry Company se sert de marionnettes à gaine pour conter une histoire d’amour qui se répète, évolue au cours des réincarnations. Reprenant le destin tragique de trois héroïnes traditionnelles, dont les fabuleux costumes sont confectionnés par les membres de la troupe, les artistes s’emparent des codes rituels pour mieux les détourner et livrer un spectacle résolument moderne, où les jeux de lumière invitent à un rêve éveillé, qui envoûtera à n’en pas douter petits et grands.
Dernière formation à se produire à la condition des soies, la Circus P.S. est une compagnie du cirque, qui cherche à l’instar des deux autres à puiser dans les traditions séculaires de la culture taïwanaise des mouvements, des motifs, des enchaînements pour en extraire l’essence et les inscrire dans une ligne artistique, chorégraphique plus large, plus contemporaine. Née en 2015 de l’union de deux talents, celui de la metteuse en scène Fang Yi-Ju, à peine rentrée d’un voyage d’étude en France et de celui de la championne d’arts martiaux multimédaillée Wen Ching-Ni, la troupe Circus P.S. propose des spectacles inventifs à la croisée des arts empruntant autant à l’univers circassien qu’à celui varié des arts martiaux. Jouant sur les émotions et les exercices de style, les pantomimes et les grimaces, les quatre interprètes, deux femmes – dont l’une des fondatrices, l’autre étant à la chorégraphie – , deux hommes, Distance, présente à 14 h 25, salle Molière, s’amuse des sentiments amoureux et amicaux dessinant une fable moderne sans parole, mais où l’interaction avec le public est un des éléments fondamentaux.
Enfin, aux Hivernales, c’est la compagnie T.T.C. Dance créée par Ting-Ting Chang qui invite à découvrir le renouveau de la dance contemporaine taïwanaise. Riche de son parcours, de ses rencontres, l’artiste se nourrit du folklore de son pays, ainsi que des différents chorégraphes invités à présenter leurs œuvres sur l’île de toutes les convoitises, tel Hofesh Shechter. S’appuyant sur l’art vidéo, elle crée un spectacle en noir et blanc où les corps de ses danseurs dialoguent avec les lumières, les clairs-obscurs. S’intéressant aux impressions de Déjà-vu –titre de sa pièce -, aux violences inconscientes, transmises par les médias, elle signe une œuvre à la poésie noire où les mouvements, les gestes entrent en résonnance avec des impressions enfouies au plus profond de nos consciences.
Ce partenariat entre le Festival d’Avignon, le ministère taïwanais de la Culture et du Centre culturel de Taïwan à Paris a pour principal but de permettre d’ouvrir une porte singulière, particulière, une culture à multiples visages, une plongée dans un monde entre tradition et mondialisation, une balade fascinante et captivante au cœur d’une civilisation en pleine mutation. Courrez à la rencontre de ces artistes vibrants et touchants, vous serez envoûtés par leur art du divertissement, du spectacle et de la dramaturgie.
Par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore, Envoyé spécial à Taïwan
Taiwan in Avignon 2018
Festival d’Avignon le OFF
Théâtre de la Condition des soies
13 Rue de la Croix
84000 Avignon
La potion de réincarnation de la Compagnie Jin Kwei Lo Puppetry
Salle Molière – (Salle Ronde)
Du 6 au 29 juillet 2018
tous les jours à 11h10, relâche les 11, 18 et 25 juillet 2018
durée 1h00
conception de De Fu-Chin Chiang & Shih-Hung Ko
Mise en scène de Chia-Yin Cheng
Avec Shih-Hung Ko, Shih-Hua Ko, Yu-Jane Li
Dramaturgie de Fu-Chin Chiang & Shih-Hung Ko
Musique Chien-Hsing Chiang
Distance de la Compagnie Circus P.S.
Salle Molière – (salle ronde)
du 6 au 29 juillet 2018
tous les jours à 14h25, relâche les 11, 18 et 25 juillet 2018
durée 55 minutes
conception dee Yi-Ju FANG
Mise en scène de Yi-Ju FANG
Avec Chih-Mei Huang, Ching-Ni Wen, Shih-Hao Yang, Yu Tsao
varhung – Heart to heart du Tjimur Dance Theatre
Salle Molière – (Salle ronde)
du 6 au 29 juillet 2018
tous les jours à 15H50, relâche les 11, 18 et 25 juillet 2018
durée 55 minutes
Chorégraphie dee Baru Madiljin
Avec Ching-Hao Yang, Ljaucu Dapurakac, Tzu-En Meng
Déjà-vu de T.T.C Dance
Les Hivernales
18, Rue Guillaume Puy
84000 Avignon
du 07 au 17 juillet 2018
tous les jours à 21H30 relâche le 12 juillet 2018
Chorégraphie de Ting-Ting Chang
avec Yu-Hsiang Chen, Yen-Lin Huang, Han-Hsien Kan, Szu-Ching Lei, Chieh-Hua Liao, Tzu-Yen Wang, Yachi Zhaiteng
Musique, images Jin-Yao Lin
Création lumière : Fang-Ning Wang
Régie générale : Jui-Hsuan Tseng
Coordination des tournées internationales Yi-Yun Cloudy Yang
Administration Yu-Hsuan Chiang