Cheveux châtains, coupés courts, yeux bleus perçants, Sylvain Huc cultive une certaine discrétion. En retrait, il s’anime avec passion dès qu’on l’interroge sur ses créations passées et à venir. Alors qu’il est en pleine répétition des deux pièces chorégraphiques qui seront montrées au festival Montpellier-Danse, il a accepté de répondre à quelques questions. Rencontre.
À quelques jours de la présentation de Sujets au théâtre de la Vignette le 23 juin, nous avons rendez-vous au téléphone avec ce chorégraphe au cursus atypique. La voix chantante, qui fleure bon le sud – le futur quadra habite Toulouse – , il nous parle de son parcours professionnel, de son obsession pour le corps, de ce qu’il évoque, symbolise dans les sociétés de la Grèce antique à nos jours, de ce qui nourrit son processus créatif.
Comment la danse est-elle entrée dans votre vie ?
Sylvain Huc : J’ai découvert par accident, très tardivement, finalement cet art. J’avais 24 ans, je terminais mes études d’histoire. Alors que j’achevais mon mémoire de fin d’année où je m’intéressais aux questions anthropologiques de la représentation du corps féminin dans les enjeux politiques de la cité hellénique, j’ai découvert, au Théâtre de la Cité à Toulouse, le travail d’Anne Teresa de Keersmaeker. Elle y dévoilait sa pièce de groupe Drumming sur une musique de Steeve Reich. J’ai eu une vraie révélation. Bien que très formel, j’étais fasciné par la façon dont les danseurs envisageaient le corps, ainsi que par leur manière très physique, très charnelle de se mouvoir. Je crois que cela entrait en résonance avec mes interrogations de l’époque, mes obsessions. J’ai rongé mon frein durant un an. J’étais jusqu’alors surtout porté sur la photographie, le rock indépendant, l’électro. Le sport ne faisait pas vraiment partie de mon quotidien. J’ai fini par franchir le cap. Je me suis inscrit à des cours de danse en amateur. Après tout est allé très vite. J’ai intégré en 2003 la formation professionnelle du Centre de Développement chorégraphique de Toulouse. Durant cette année particulièrement laborieuse, j’ai eu la chance de rencontrer différentes figures emblématiques de la danse contemporaine et notamment Richard Nadal, un chorégraphe basé en région Midi-Pyrénées avec lequel j’ai participé à plusieurs de ses créations. En parallèle, je travaillais au coup par coup en tant qu’interprète pour plusieurs compagnies. Après quelques années, les perspectives me semblaient assez pessimistes. Je suis parti à l’étranger pour me changer les idées. Ça a été bénéfique. En rentrant, j’ai répondu à une interrogation ponctuelle en créant un spectacle jeune public. J’avais choisi pour thème Le Petit Chaperon rouge. Grand bien m’a pris. Ce fut un succès avec plus de 250 représentations au compteur. C’était inattendu. Cela m’a redonnait confiance et m’a permis d’acquérir une vraie légitimité dans ce métier. J’ai pu envisager l’avenir plus sereinement et obtenir que les futures créations soient soutenues. Elles n’ont pas forcément eu le même succès, mais j’étais lancé.
Qu’est-ce qui nourrit votre processus créatif ?
Sylvain Huc : Mon intérêt pour le corps, pour la manière dont on peut éprouver dans nos muscles tension, douleur, torsion, ou détente est clairement au centre de mon travail. C’est très affirmé. C’est à la fois le point de départ, l’objet et l’outil de mes investigations quand je commence à imaginer un nouveau spectacle. À chaque fois, je cherche à l’aborder de manière variée que ce soit des interrogations sociétales, comme dans Gameboy, des questionnements ethnologiques comme dans Sujets, ou tout simplement pour répondre à mes obsessions purement esthétiques. Si le corps est le socle, le fil rouge de mes différentes œuvres, j’essaie toujours de creuser plus loin, d’aller dans des directions opposées, distinctes pour alimenter mes idées fixes. Une autre de mes spécificités, c’est cette volonté de ne pas vouloir travailler uniquement avec des danseurs professionnels. Je ne cherche pas des corps aguerris aux techniques de danse, mais des corps qui ont une histoire, un vécu.
Comment est venue l’idée d’interroger la masculinité dans votre pièce Gameboy ?
Sylvain Huc : La masculinité, sa représentation dans le monde d’aujourd’hui, est quelque chose qui me fascine, me questionne beaucoup. Il y a quelques années, j’avais monté un trio où un danseur et un batteur m’accompagnaient sur scène. Intitulée Boys don’t cry, la pièce était déjà sur la problématique de l’identité masculine. Dans le prolongement de ce travail, la faculté de sciences humaines de Toulouse m’a demandé de mener un laboratoire de 25 heures avec 10 jeunes hommes autour de cette même thématique. C’était un projet passionnant dans lequel je ne suis pas au plateau, je ne suis que chorégraphe. Que signifie aujourd’hui être un homme et le revendiquer ? Existe-t-il une ou des identités masculines ? Est-ce pertinent de prendre cela comme postulat de départ pour construire un spectacle, alors que depuis plus de 30 ans, la question du genre devient plus prégnante, que les théories autour de cette interrogation primordiale sont en plein développement ? Je suis conscient que je ne défriche rien, que je prends des chemins déjà explorés. Toutefois, je crois que la spécificité de Gameboy réside dans son parti-pris, celui choisi par les membres de la faculté, d’avoir une distribution exclusivement masculine avec des personnes de tout horizon et absolument pas danseur professionnel. L’intérêt est vraiment d’explorer l’identité masculine, mais dans sa diversité, sa multiplicité.
Avez-vous eu des surprises lors du travail préparatoire, des répétitions ?
Sylvain Huc : Évidemment. C’était très intéressant de voir que chacun des participants a abordé ce questionnement sur sa propre masculinité de manière totalement différente. Qu’il soit homo, hétéro, qui se pense viril, macho ou au contraire féministe, chacun s’est montré très différent de ce qu’il pensait être. C’est très surprenant. Je n’ai pas souhaité faire d’atelier de discussion autour, je préfère l’étude au plateau que les interprètes éprouvent par le corps non par la parole, mais je sais qu’ils ont tous beaucoup parlé en dehors des sessions de travail. Ça a été très introspectif et intime pour la plupart des participants. Beaucoup m’ont d’ailleurs confié qu’ils ne seraient pas allés aussi loin si le groupe avait été mixte. C’est délicat pour moi. Je reste persuadé que la masculinité n’est pas une propriété spécifique des hommes. Il est difficile d’affirmer sa virilité en tout cas de façon conquérante, dans un monde où il existe encore et toujours des inégalités criantes entre les deux sexes et qu’en tant qu’homme, on a des privilèges qu’on le veuille ou non, qu’on en profite quoi qu’il en soit, même si c’est à notre corps défendant. Dans ces conditions, se plaindre serait, à mon sens, totalement déplacé.
Comment s’est faite la sélection des participants pour ce Gameboy dans le cadre du festival Montpellier-Danse ?
Sylvain Huc : Déjà, il est important de rappeler que c’est une re-création avec des amateurs qui viennent pour partie de Toulouse où j’officie et pour partie de Montpellier. Par ailleurs, c’est une forme courte d’une demi-heure qui sera présentée, donc, malgré une ossature similaire, il faut s’attendre à quelque chose de différent de ce que j’avais présenté dans le cadre du laboratoire commander par la faculté. Pour élaborer la liste des participants, nous sommes partis sur le mode du volontariat. On a passé un appel à candidatures, auquel des hommes d’horizons variés, d’âges différents ont répondu. Pour le reste, le tri s’est fait de lui-même, de façon simple et naturelle. Après les avoir rencontrés au mois de mai dernier, ne sont restés que ceux qui avaient le désir de participer à cette étonnante aventure.
Qu’en est-il de votre autre création Sujets ?
Sylvain Huc : C’est totalement autre chose. Le projet est né d’un laboratoire de recherche que je menais à l’automne 2016 autour d’un quintet d’interprètes. Je n’avais pas spécialement d’idées préconçues. La nudité est apparue comme une évidence. Même si je l’ai induite d’une certaine manière, ce sont les danseurs qui ont voulu explorer cette piste de travail. La session s’était très bien passée, du coup quand est arrivée la proposition de Montpellier danse de présenter une de mes œuvres, j’ai tout de suite pensé à contacter l’équipe pour que l’on poursuive plus avant nos investigations. Il a fallu faire vite. Je n’ai eu que six semaines pour créer le spectacle. Rapidement, j’ai eu cette envie de prendre ces corps dépouillés de tout vêtement comme des sujets d’observation anthropologique, de voir comment ils allaient évoluer sur le plateau, ce qu’ils allaient révéler de leur singularité. En parallèle, je voulais questionner le désir au sens large, l’appétit qui anime un corps, qui le rend vivant, vibrant, son avidité à vouloir appréhender le monde. J’avais aussi l’idée depuis un moment, de travailler avec une musique que j’affectionne tout particulièrement, celle du compositeur italien Alessandro Cortini, et faire participer au projet un de mes nouveaux collaborateurs, Fabrice Planquette qui est à la fois régisseur son, créateur audio visuel. Je lui ai confié tout le travail des vidéos. Ensemble, nous avons construit un véritable dialogue entre corps et lumière. La nudité s’habille grâce aux projections qu’il a imaginées. C’était important pour moi d’interroger le sens d’être nu sur un plateau aujourd’hui qu’est ce qu’on veut montrer. C’est tout l’enjeu de Sujets. La nudité sur scène est explorée depuis bien longtemps. Je n’avais nullement l’ambition de révolutionner quoi que ce soit. J’ai pris cela comme un exercice de style où j’esquisse une sorte de mythologie inversée, d’archéologie du futur. Dans ce travail, il y a, me semble-t-il, l’émergence d’un patrimoine iconographique, de gestes oubliés qui remontent à la surface rappelant des rituels anciens et présageant pourquoi pas des mouvements à venir.
Propos recueillis par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore
Gameboy de Sylvain Huc
Montpellier Danse 2018
parc du château de Pignan, avenue de l’Europe
Dim. 1er juillet à 11h00
place Espartinas, avenue de la gare à Vendargues
Dim. 1er juillet à 20h00
parking du foyer rural, rue des pénitents à Saussan
Lun. 02 juillet à 20h00
parvis de la mairie, place Georges Frêche à Montpellier
Mar. 03 juillet à 18h00
place du soleil, terminus du tramway ligne 3 à Juvignac
Mer. 04 juillet à 20h00
Conception, chorégraphie, lumières : Sylvain Huc
Créé en collaboration avec 14 danseurs amateurs : Cyril Cabirol, Brian Pater, Maxime Varobieff, Diallo Abdoul Goudoussy, Falicou Bamba, Tahirou Bakayoko, Diallo Amadou Simbé, Florent Brun, Joseph Burdin, Stefan Heinen, Medhi Mojahid, Steven Nacolis, Roberto Steck Ibarra, Carlos Sureda Gutierrez
Sujets de Sylvain Huc
Festival de Montpellier danse 2018
Théâtre de la Vignette
Avenue du Val de Montferrand
34199 Montpellier
les 23 & 24 juin 2018
Durée 1h00
Chorégraphie de Sylvain Huc assisté de Mathilde Olivares et Fabrice Planquette
Avec Gauthier Autant, Juliana Béjaud, Constant Dourville, David Malan, Mathilde Olivares
Lumière et régie son : Fabrice Planquette
Musique : Alessandro Cortini
Production : Association Faits & Gestes
Coproduction : Montpellier Danse 2018, l’Usine Centre national des arts de la rue et de l’espace public (Tournefeuille / Toulouse Métropole), La Place de la Danse / CDCN Toulouse – Occitanie, les Hivernales – CDCN d’Avignon, le Gymnase / CDCN Roubaix – Hauts de France, la Sala Hiroshima à Barcelone, de l’Institut Français Barcelone et de la SPEDIDAM.
La Cie Divergences est conventionnée par le Ministère de la Culture et de la Communication / DRAC Occitanie et par la Région Occitanie / Pyrénées-Méditerranée, soutenue par le Département du Lot et la Communauté de Communes Cazals-Salviac.
Crédit photos © Erik Damiano, © Jean-François Quais & © Loran Chourrau