La satire est amère. Le regard acéré, sombre. Plongeant dans ses pensées, ses souvenirs, Olivier Py conte par le menu son ascension, ses perversions, ses obsessions et ses errances. Homme de théâtre, il adapte avec fougue et folle frénésie son dernier roman. Verbeux et emphatique, le texte tombait des mains, une fois, mis en scène, devient poésie et séduit au-delà du pensable. Une belle réussite !
Le pari était risqué, l’adaptation complexe. Mais qui de mieux que l’auteur pouvait rendre toute l’âpreté, le cynisme de ce roman-fleuve au phrasé alambiqué et pompeux. Et il faut être honnête, Olivier Py excelle à mettre en scène sa vie de jeune gay provincial et naïf venu conquérir Paris. Très vite, les collusions des uns, les débauches des autres, auront tôt fait de pervertir le virevoltant damoiseau dont le sourire enchanteur, plus que son doux physique, charme les grands pontes, les décideurs du monde de la culture.
En plongeant dans les arcanes de l’État, le fringant Aurélien (bondissant Émilien Diard-Detoeuf) découvre l’arrière du décor, les manipulations de l’ombre, les corruptions et les vices d’un monde pourri jusqu’à la moelle, mais à la façade toujours parfaitement policée. Derrière les masques apparaît une faune féroce et sanguinaire prête à tous les avilissements, les dépravations pour attendre le but ultime, une part de plus en plus importante d’un pouvoir tout illusoire.
En contre point de ce flamboyant éphèbe, metteur en scène en devenir, qui apprend vite à naviguer en eaux troubles, le ténébreux Lucas (incandescent Joseph fourez), la part terriblement noire d’Olivier Py, se bat contre ses démons, contre ce père confit de religion et incapable de tendresse, d’aimer. En unissant ces deux êtres, l’un lumineux, l’autre écorché, le directeur du festival d’Avignon livre un peu de lui-même et interroge une nouvelle fois ses grandes questions métaphysiques autour de l’amour, de la mort, de la jeunesse passée, de la religion.
Là où son roman nous perdait dans les méandres d’histoires à ressort, à coup de phrases terriblement emphatiques, sa mise en scène particulièrement ciselée et vive nous plonge au plus près de ces héros tant flamboyants que dépravés, de ces causes perdues d’avance, de ces luttes pour changer le monde, le rendre plus juste. Utilisant parfaitement la scénographie très haussmannienne de son complice Pierre-André Weitz, il fait de Paris le centre de sa pièce. Ville lumière autant que cité de tous les vices, il en dépeint les recoins obscurs, glauques ainsi que les couloirs somptueux des beaux hôtels de la République.
Tourbillon hypnotique, frénétique, ronde endiablée et corrosive, vision terriblement sombre d’un monde qui va à sa perte, la farce noire, poétique d’Olivier Py séduit par l’incarnation puissante des comédiens, tous excellents, et par la verve du dramaturge qui se livre sans détour. Si parfois le verbe dérape, trop sentencieux, si parfois la démonstration vire à la caricature déclamatoire, l’homme d’Avignon fait ici ce qu’il fait de mieux: du théâtre, et c’est déjà beaucoup ! Soulignons derrière nos deux jeunes et charismatiques protagonistes les prestations de Moustafa Benaïbout, fabuleux en pute sur le retour, de Laure Calamy, délirante en Femen trans surexcitée, Mireille Herbstmeyer, inénarrable en vieille comédienne dépressive, François Michonneau, sexy à souhait en maître Sadomasochiste, Céline Chéenne, épatante en intermittente survoltée, et enfin Jean Alibert, féroce et vicieux à souhait en chef d’orchestre manipulateur et perverse. Un spectacle monstre clivant, trash qui certes enfonce des portes ouvertes et fait ronfler les mots, mais qui par sa nature théâtrale disparate et changeante mérite le détour. À voir donc sans nul doute !
Par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore
Les Parisiens d’Olivier Py
Festival d’Avignon 2017
Théâtre de la Ville –Espace Cardin
Avenue Gabriel
75008 Paris
Mise en scène d’Olivier Py
Avec Jean Alibert, Moustafa Benaïbout, Laure Calamy, Céline Chéenne, Émilien Diard-Detoeuf, Guilhem Fabre, Joseph Fourez, Philippe Girard, Mireille Herbstmeyer & François Michonneau
scenographie, costumes & maquillage de Pierre-André Weitz assisté de Nathalie Bègue
Lumieres de Bertrand Killy
Construction des decors : Ateliers du Théâtre de Liège, Ateliers du Festival d’Avignon
Musiciens : Guilhem Fabre (piano), François Michonneau (accordéon)
Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage