Envoûtante, désespérée, la voix d’Irène Jacob saisit le spectateur. Elle l’attrape pour l’accompagner, ne plus le lâcher tout le long de ce monologue d’une femme aux abois que son homme vient d’abandonner. En plaçant la comédienne dans une structure transparente au-dessus du public, Roland Auzet brise les règles et invite à une immersion ahurissante au plus près de la nature humaine. Captivant !
Attention, un petit cérémonial est à respecter avant d’entrer dans l’antre de La Voix humaine, un espace noir où seul un immense tapis entouré de quelques sièges, au-dessus duquel, à plus de 2 mètres 50 du sol, une structure en plexiglass flotte, accueille les spectateurs. Après s’être déchaussé, avoir pris un coussin, chacun s’installe le plus confortablement possible, où il veut comme il veut. A sa guise, assis par terre ou couché. Lentement, l’obscurité gagne les lieux. Le silence se fait, très vite rompu par un bruit assourdissant de ville, de route. Puis dans une lumière blafarde, venue d’un plafonnier surplombant toute la surface de jeu, la silhouette anxieuse, tendue d’une femme apparaît en contre plongée.
Derrière le brouhaha amplifié par la magie sonore des ingénieurs de l’Ircam, sa voix est presque inaudible. Elle appelle dans le vide son amant avec l’énergie du désespoir. Esseulée dans un espace vide, elle déambule au-dessus du public. Cherche une posture, une action à faire pour se calmer. Les nerfs à fleur de peau, elle sursaute dès que la sonnerie de son portable retentit, se jette dessus pour décrocher. La communication est mauvaise. Elle n’entend pas l’autre, son amant qui l’a abandonnée pour en épouser une autre. La blessure est béante, pourtant, elle tente de faire bonne figure, bonne voix. La conversation est interrompue, avant d’avoir vraiment commencé. Il en sera ainsi tout le long de cette interminable soirée, de cette dernière confrontation orale entre la femme bafouée, abandonnée lâchement et l’homme de sa vie.
Suspendue dans les airs, enfermée dans une sorte de ring de boxe, la femme se débat bien que l’issue du combat soit déjà connue. À terre, elle refuse de rendre les armes. Elle se relève, prend toutes les fautes à son compte, tous les coups. Malgré l’absence insupportable, douloureuse, la blessure infligée, elle trouve la force de pardonner, de protéger celui qu’elle aime encore profondément.
En revisitant le texte de Cocteau, le mettant en résonance avec celui contemporain de Falk Richter, Roland Auzet entraîne au plus près des errances d’un être abandonné à sa noire solitude et qu’une passion folle à carboniser, détruit sans possibilité de retour à la vie. Âme morte, perdue par sa vibrante humanité, elle danse, vacille, tombe et se relève dans un dernier souffle avant de disparaître dans l’obscurité, le néant. Emportée par la chorégraphie imaginée par Joëlle Bouvier, Irène Jacob illumine les airs de sa présence évaporée autant que capiteuse. Cernée par les regards qui la scrutent sur toutes les coutures, elle n’est plus que cette femme dont l’existence est suspendue à un dernier fil de téléphone.
Grâce au dispositif sonore enveloppant, au jeu intense de lumière, le spectateur est complétement immergé dans l’esprit en perdition de l’amante déchue. Une expérience puissante et bouleversante qui prend aux tripes, secoue et submerge. Un moment de théâtre insolite et curieux. Fascinant !
par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
VxH – La voix humaine d’après Jean Cocteau et des textes de Falk Richter
Le Centquatre – Paris
5, rue curial
75019 Paris
conception, musique, scénographie et mise en scène : Roland Auzet
collaboration artistique, chorégraphie : Joëlle Bouvier
avec Irène Jacob
réalisation informatique musicale Ircam : Daniele Guaschino
ingénieur du son Ircam : Luca Bagnoli
lumières de Bernard Revel
Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage