Voix douce et basse, Brice Hillairet est un grand timide qui manie avec virtuosité l’humour dévastateur, le verbe ciselé et le charme ténébreux. Visage d’ange un brin déluré, le jeune comédien navigue avec aisance du classique au contemporain, en passant par le boulevard débridé. Fébrile avant de présenter sa première mise en scène au Théâtre 13, il a accepté de nous faire quelques confidences.
C’est dans un salon de thé cosy d’un sympathique hôtel parisien, situé à deux pas de l’église Saint-Paul, que nous retrouvons le jeune trentenaire. Regard pétillant, rieur, sourire lumineux, Brice Hillairet nous accueille avec bienveillance. Café et jus de fruits commandés, douillettement assis dans un fauteuil style Empire, il cache avec ingéniosité derrière quelques bons mots, ses angoisses, ses doutes, son extrême pudeur. Petit à petit, il se détend et livre quelques confidences sur son métier, son parcours. Une rencontre en tout simplicité.
Un comédien en herbe
Né à Montpellier, il grandit dans la ville de Nîmes. Très tôt, le virus du spectacle l’attrape pour ne plus le quitter. « J’étais tout petit, se souvient-il, quand le théâtre, enfin l’art vivant en général est entré dans ma vie et très étonnement c’est par la télévision que tout a commencé. Je me passionnais pour les chanteurs.euses, pour les acteurs.trices, pour les humoristes. Je trouvais captivant l’émotion qu’ils étaient capables de donner d’une intonation, d’un geste. À 7 ans, j’ai découvert fasciné Pierre Palmade. Il avait à peine 20 ans. C’était un tout jeune homme. Immédiatement, je me reconnais dans son humour, son esprit. Je peux m’identifier à lui et me dire que tout est possible, que je peux envisager de faire ce métier. » Bien qu’il ne vienne pas d’une famille d’artistes, le juvénile Brice Hillairet va régulièrement au théâtre et au cinéma avec ses parents lors des sorties dominicales. « Un brin timide et introverti, raconte-t-il, enfant, je m’exprimais surtout à travers des sketches, des petites saynètes que je m’amusais à monter dans le cadre familial. Très vite, je pense que mes proches ont compris que le théâtre, le jeu d’acteur, était nécessaire et primordial pour moi, que cela ferait partie intégrante de ma vie. »
Tout s’accélère quand le jeune garçon de 10 ans découvre une annonce dans le journal local pour participer au tournage d’un court métrage. « Avec l’accord de mes parents, se souvient-il, j’ai passé des essais. J’ai été pris. L’été suivant, nous sommes tous allés au camping durant 15 jours, mon frère inclus et pendant que je m’éclatais devant la caméra, ils en profitaient pour se balader, se reposer, tout en gardant, un œil sur moi. À la rentrée, au collège, j’étais tellement heureux de cette expérience que j’en ai aussitôt parlé à ma professeure d’histoire, qui était elle-même comédienne. C’était un phénomène, elle me faisait penser à Jacqueline Maillan. Elle en avait l’exubérance. À la tête d’une petite troupe, elle me propose de suivre les cours d’art dramatique qu’il y dispense. Évidemment, toujours avec la bénédiction de mes parents, je rejoins l’aventure. » Mais c’est grâce à ses professeurs de Français, véritables sauveurs de l’humanité comme il les appelle, que l’adolescent va régulièrement voir des pièces jouées au théâtre municipal de Nîmes, une scène subventionnée. « Je me souviens, dit-il avec humour, le premier spectacle auquel j’ai assisté c’était Périclès, prince de Tyr de William Shakespeare. C’était très compliqué, j’avoue à l’époque je n’ai pas tout compris. Puis, et là ça a été mon premier choc, j’ai eu la chance de voir un monologue de Jean-Paul Farré. Ce qu’il fait sur scène c’est dément. » À 15 ans, il assiste à une représentation de Barrage contre le pacifique de Marguerite Duras avec Marie-Christine Barrault. « C’était poignant, déchirant, se remémore-t-il très ému. Je ne connaissais rien à la vie de l’auteure, j’ai été bouleversé par ce récit et totalement submergé par l’interprétation de la comédienne qui insuffle aux mots une puissance, une force. L’intensité est tellement à son paroxysme qu’elle s’effondre en larmes au moment des saluts. Je n’ai pas compris tout de suite, ce qui se passait. C’est la première fois qu’elle remontait sur scène après la mort de Roger Vadim. Digne, puissante, elle a tenu jusqu’au bout. » Des années plus tard, lors d’un projet qui les réunit, Brice Hillairet ose lui parler de ce moment singulier. Il n’a pas le temps de finir sa phrase, qu’elle a tout compris et le gratifie d’un regard rare, émouvant, poignant. Tous ces petits riens, ces précieux instants de vie, confortent le jeune homme dans sa décision de devenir comédien.
Paris ou rien
Après le bac, baluchon sur le dos, le jeune homme monte à la capitale et intègre les cours Florent. « À l’époque, raconte-t-il, mes parents sont en plein divorce. Ils me font donc entièrement confiance sur mon avenir, bien qu’ils n’aient, je pense, aucune idée de ce métier et sur la façon dont cela aller se passer pour moi. Au bout de 15 jours, je sais que je ne me suis pas trompé. Je suis à ma place dans la bonne ville. Je suis mon cursus tout à fait normalement. Je découvre les textes. Je me passionne pour les grands dramaturges, les écritures de théâtre que j’ai envie de défendre. Je me suis forgé petit à petit une culture. » Bien qu’il est raté le concours du conservatoire, cela n’empêche pas le jeune homme d’enchaîner les projets, les rôles. « J’avais à peine vingt ans, se souvient-il, amusé. J’avais un agent et les comédiens, plus âgés avec lesquels je jouais ou je tournais, n’arrêtaient pas de me répéter que j’avais déjà suivi durant trois ans un cursus d’études, qu’il était peut être temps que j’aille de l’avant. Je ne me suis pas fait prier, J’ai continué d’apprendre, mais sur le tas. »
Premiers contrats
Loin des salles de classe, Brice Hillairet, fraîchement émoulu de l’école, se voit proposer le rôle du Prince dans une adaptation pour jeune public de Belle au bois dormant des frères Grimm. « Ce spectacle, se souvient-il, a rapidement eu un beau succès. Nous l’avons donc joué deux saisons de suite à Paris avant de partir en tournée avec. C’était une expérience fort intéressante, d’autant qu’il mêlait plusieurs styles théâtraux dont notamment de la Comedia dell’arte. » Peu de temps après, le jeune homme rencontre l’idole de son enfance. « 15 ans après l’avoir découvert à la télévision, raconte-t-il, je fais la connaissance de Pierre Palmade, qui me propose de reprendre avec un autre comédien les sketches de sa jeunesse sur la scène du Point Virgule. L’expérience a duré deux mois et fut tout aussi formatrice, d’autant qu’on a tout fait avec les moyens du bord. » En parallèle, il travaille pour la télévision en jouant des petits rôles dans des fictions. Les projets s’enchaînent. Et en 2010, par un heureux hasard, le jeune homme entre en contact avec Jean-Marie Besset, dont il connaît bien l’œuvre pour l’avoir étudiée au cours Florent. « J’aimais beaucoup son style, sa plume, explique-t-il. Alors, quand il m’a choisi pour reprendre le rôle créé par Jonathan Drillet dans Perthus, j’étais très touché. Après le vingtième théâtre, je suis parti en tournée avec ce spectacle. Fort de cette première expérience, il m’a proposé de jouer à la tempête dans sa pièce RER et de donner la répliques à Andréa Féréol et Didier Sandre, un être charmant que j’ai eu tant de plaisir à côtoyer. Il fait partie de ces personnes que l’on voit peu, mais qui comptent beaucoup et dont le temps n’entache nullement l’amitié. Malgré nos différences nous nous sommes reconnus tout de suite. » Enrichissant son parcours à chaque projet, en quête de nouvelles sensations, le jeune comédien fait la connaissance de Pierre Notte, un auteur qui le fascine et avec qui il va travailler plusieurs années durant.
Les années Pierre Notte
Touché par le style mélancolique et désopilant de Pierre Notte, Brice Hillairet déguste avec gourmandise la pièce que ce dernier vient de lui faire parvenir, Pour l’amour de Gérard Philipe. « J’ai dévoré le texte, avoue-t-il. La langue, la grammaire me séduisent immédiatement. Je n’ai plus qu’une envie, c’est travailler sur le projet. Manque de chance pour moi, la distribution est déjà faite. Pierre me propose d’être son assistant à la mise en scène. J’accepte évidemment tout de suite. Très vite, on se rend compte qu’on a le même langage, qu’on est sur la même longueur d’onde. En toute logique, on décide de continuer à travailler ensemble. » En tout c’est une dizaine de projets, que ce duo infernal va tenter de mettre en place que ce soit pour des festivals ou pour des lectures. De Sortir de sa mère à Couteau dans le dos, en passant par C’est noël tant pis et Ma folle Otarie, c’est pas moins de 6 pièces qu’ils vont mener à terme conjointement. Pierre Notte à l’écriture et la mise en scène, et Brice sur le plateau.
Ma folle Otarie, une consécration
Tout a commencé dans un appartement en Normandie. Soutenu par la scène nationale de Dieppe, le terrible duo, propose un seul en scène facilement transportable et nécessitant le moins de décors possibles. « Cette expérience est incroyable, raconte Brice Hillairet. Quand on l’a créée, on n’a jamais imaginé l’engouement que cette pièce susciterait. Fort d’un premier succès lors des premières représentations, on décide de présenter quelques dates à la presse et les amis au théâtre de Belleville avant de l’emmener en Avignon dans la petite salle du théâtre des halles. Très vite, les critiques sont dithyrambiques et le bouche-à-oreilles fait le reste. Le public est au rendez-vous. Le spectacle nous échappe, prend son envol et devient une sorte de phénomène, une des pièces à voir. » Les mots poétiques de Pierre Notte et l’interprétation ciselée, habitée du comédien font que la magie opère. En trois ans, le succès ne s’est jamais démenti et permet à Brice Hillairet d’obtenir le prix de la critique, une reconnaissance qui lui va droit au cœur et l’ancre définitivement dans ce métier. « En quelques mois, se souvient-il, tout change. Les gens de la profession ont un regard de plus en plus bienveillant à mon égard. C’est très émouvant. Après avoir rejoué C’est Noël tant pis au Rond-point et à la Comédie des Champs-Élysées, on a repris Ma folle Otarie au Lucernaire et en tournée. J’ai d’ailleurs fait, il y a peu ma dernière date. »
Un retour télévisuel remarqué
Si le théâtre reste le cœur de métier de Brice Hillairet, il lui arrive régulièrement de collaborer à des fictions télévisuelles. « En 2013, raconte-t-il, j’ai participé aux talents Cannes Adami. J’ai joué dans le court métrage de Pierre Ninney. Je n’avais pas remarqué jusqu’alors que cette forme d’art me manquait. Quand j’ai rencontré Bertrand Arthuis et qu’il m’a proposé de faire des essais pour la série qu’il produit et réalise pour France 3, Caïn, j’étais ravi. C’était comme un bol d’oxygène. Le début d’un changement d’un nouveau départ. » Incarnant le pendant démoniaque du personnage principal, le sémillant acteur campe un juge d’instruction juvénile qui, après une apparition à la toute fin de la saison 5, revient régulièrement tout le long de la saison suivante. « Ce fut très intense et passionnant, se souvient-il. Je n’ai pas l’habitude de travailler ainsi. Le personnage se construit par bribes, il se structure tout au long des épisodes grâce aux différents éléments que l’on nous donne pour nourrir notre imaginaire. On avance à tâtons et j’ai trouvé cela très agréable, j’avoue. »
Des projets estivaux
Bosseur, Brice Hillairet est sur tous les fronts. Rêvant de monter ses propres spectacles qui lui tiennent à cœur depuis longtemps, il crée, il y a un an et demi sa compagnie. « J’étais à un tournant de ma vie, explique-t-il, où j’avais le besoin de m’investir, d’être le propre porteur de projets. Je voulais être décideur, prendre un peu plus ma carrière en mains. C’est loin d’être simple, d’autant que l’on découvre des métiers qui nous sont totalement étrangers, comme monter un budget, chercher des partenaires pour aider à la production. Je me suis retroussé les manches et j’ai foncé, car je voulais passer de l’autre côté de la scène pour diriger des comédiens. Bien évidemment, cela prend du temps, d’autant qu’il est difficile de fidéliser d’éventuels associés d’une année sur l’autre tant que le projet n’est pas concret, n’est pas totalement viable. » Si l’idée est bien ancrée dans la tête bien faite du jeune homme, rien n’est possible dans les mois à venir. C’est un peu dépité qu’il rencontre, l’été passé, Colette Nucci, la directrice des théâtre 13. Rapidement, la discussion s’emballe, car cette dernière lui propose de participer à son concours pour jeune metteur en scène. « J’étais tout d’abord embêté, se remémore-t-il, la pièce que je rêve de monter depuis longtemps, les trompettes de la mort de Tilly, qui fait parti du noyau central de textes qui me nourrissent depuis des années, ne correspond pas aux critères de sélection qui exige au minimum six comédiens sur scène. Ce n’est pas grave. Je lui propose un autre projet, Quand l’enfant paraît d’André Roussin. Tout se passe tellement bien, que nous avons sans trop d’encombres réussi les deux premières étapes éliminatoires et que nous présentons au public le 1er et 2 juin, la pièce dans son ensemble dans des conditions réelles. » En parallèle, Brice Hillairet est contacté par Dominique Guillo pour jouer, cet été au Chêne noir, dans la grande salle, le rôle d’un jeune metteur tentant de monter son premier spectacle, dans la pièce Récréation d’Arnaud Bertrand et de Sam Asulis. « J’ai trouvé que c’était un joli coup du sort, s’amuse-t-il, et que l’un nourrit l’autre. »
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Crédit Photos © Amandine Gaymard (1-3), © Giovanni Cittadini Cesi (4), © France Télévision (6) © Nicolas Hennette (7)