D’un solo évanescent à un quintet guerrier, l’artiste javanais invite à un voyage en eaux troubles entre tradition et danse contemporaine, une plongée en apnée au cœur des multiples et riches cultures indonésiennes. Interprète en suspension, il contraint son corps à l’envi. Chorégraphe, il donne la parole aux femmes, combattantes de liberté à venir. Deux instants singuliers en manque de souffle faute d’une ligne chorégraphique plus ciselée.
Figure emblématique de la danse contemporaine indonésienne, Eko Supryanto présente en ouverture de la 23e édition du Festival de Marseille, deux pièces chorégraphiques très symptomatiques de ses préoccupations sur l’état du monde, mais surtout de son île natale. Artiste engagé, nourri au lait d’un pays riche de ses cultures, de sa nature, de ses mers, il signe avec Salt, un solo en apnée, inspiré des réflexions, des observations liées à sa pratique des plongées sous-marines, et avec Balabala, un quintet belliqueux où les femmes adoptent la gestuelle réservée aux hommes des peuples aborigènes pour mieux revendiquer leur droit à l’égalité, à la liberté.
Puisant dans les grammaires chorégraphiques des danses traditionnelles d’Indonésie, travaillant sur la culture marine, Eko Supryanto déjoue dans Salt, grâce à d’étonnants jeux de lumière, à des mouvements ralentis, la pesanteur terrestre et offre son corps aux aléas des courants aquatiques, d’un univers sans gravité, où tout semble permis. Nu émergeant des eaux sombres, profondes, en tutu ou un simple pagne, il habite habilement l’espace, convie à une balade hors du temps, des bruits de la ville, de la vie. Une bulle d’air sereine, presque indolente, qui apaise les angoisses tout en interrogeant le monde sur son altération. Un ballet en trois actes qui mériterait d’être resserré pour gagner en puissance, en intensité.
S’intéressant aux aborigènes peuplant l’Est de l’Indonésie, le chorégraphe javanais s’est penché sur l’histoire des femmes de la tribu Tobaru, soumises encore et toujours à une société patriarcale, ancestrale. En rébellion contre cet état de fait, rêvant de liberté, cinq jeunes interprètes libèrent la parole, trop longtemps tue, de leurs sœurs, de leurs mères, en empruntant les codes d’une danse tribale, guerrière qui leur était jusque là interdite. Épurant le geste, détournant les règles, jouant sur les rythmiques, Eko Supryento imagine une ligne chorégraphique où les femmes imposent leur voix sans pour autant dénaturer leur personnalité, leur singularité. L’exercice s’avère complexe et malgré leur présence lumineuse, l’ensemble manque de corps, de chair et mériterait plus de poigne, de hargne, de rugosité. Ne boudons pas pour autant le plaisir simple de découvrir d’autres cultures, d’autres regards sur un monde en devenir.
Par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Marseille
Balababa d’Eko Supriyanto
Festival de Marseille
Friche de la Belle de mai – grand Plateau
41 Rue Jobin
13003 Marseille
durée 50 min
Direction artistique et chorégraphie : Eko Supriyanto
Danseuses : Yezyuruni Forinti, Jeane Natasha Ngau, Diannovita Lifu, Siti Faradilla Buchari, Trisya Novita Lolorie
Composition de Nyak Ina Raseuki
Lumière et scénographie d’Iskandar K. Loedin
Accompagnement à la création : Arco Renz
Costumes d’Oscar Lawalata, Erika Dian
Direction des répétitions : Kamran Akil Djalil
Administration : Isa Natadiningrat
Production : Jala Adolphus
Salt d’Eko Supriyanto
Festival de Marseille
Friche la Belle de mai – Petit plateau
41 Rue Jobin
13003 Marseille
durée 50 min
Chorégraphie et interprétation d’Eko Supriyanto
Scénographie et lumière de Jan Marteen
Composition de Dimawan Krisnowo Adji
Costumes d’Oscar Lawalata
Accompagnement à la création : Arco Renz
Direction des répétitions et régie plateau : Dionisius Wahyu Anggara Aji, R. Danang Cahyo W.
Son et régie tournée : Eko Wahyudi
Administration : Isa Natadiningrat
Production : Keni Soeriaatmadja
Crédit photos © Eko Wahyudi et © Widhi Cahya