Tout se mélange et part en vrille. Dans un joyeux chaos, la troupe polyvalente, virtuose du Français, dirigée par un David Lescot en grande forme, plonge dans les années 80 pour revivre l’ascension au pouvoir de Mitterrand, les évolutions sociétales de son début de septennat, telles que la libération des ondes. Bien que trop longue, décousue et foutraque, cette comédie est absolument délectable.
La salle du vieux colombier a bien changé. Une partie des gradins ont été enlevée pour laisser place à une sorte d’immense studio de radio où traîne au sol des disques vinyles, des cendriers pleins à rapport, des papiers, des carnets. Pour certains spectateurs, il n’y a pas le choix, pour profiter du dispositif bifrontal imaginé par David Lescot, qui permet à chacun de sentir le cœur palpitant de ces salles de rédaction improvisées, de ces réunions militantes pour libérer les ondes de toutes contraintes, il faut traverser le plateau, fouler la moquette vieillie, usée, tachée qui tapisse le sol.
Rapidement, la scène s’anime. On est en avril 1980, l’élection présidentielle se profile à l’horizon. Plusieurs personnes envahissent l’espace. Réunis autour d’une table basse, ronde, 6 volontaires, plutôt de gauche, s’interrogent sur l’avenir de leur station radio pirate, qui tente coûte que coûte d’émettre malgré les interdictions et les brouillages. Résolus à outrepasser les règles, ils se battent au quotidien pour qu’un peu de ce qu’ils ont à dire soit diffusé sur les ondes. Matériels de fortune, antennes tenues à bout de bras, tout ce petit monde, telles des fourmis survoltées, s’agite. Les discussions vont mezzo forte. Les clashs entre modérés et anarchistes sont nombreux, mais permettent de comprendre les enjeux et de s’immerger totalement dans cette période foisonnante qui a vu la naissance des radios libres et libertaires. Autour d’un look, d’une phrase, on peut reconnaître quelques figures légendaires qui ont marqué cette époque, comme celle de Jean-François Bizot, fondateur de Radio Nova.
Année après année, on revisite, à l’once de ces nouvelles formes de médias, le début du premier septennat de François Mitterrand, là où tout semblait encore possible. Très vite, la politique, l’argent, la pub, reprennent leurs droits balayant les convictions profondes. Fini le temps des beaux discours, place à la musique pop, rock, grunge, que David Lescot et son complice Anthony Capelli. Et les comédiens de la Comédie-Française s’y abandonnent avec malice et gourmandise, appelant à eux les sosies de Bowie, de Nina Hagen ou de Madonna.
Se plongeant dans l’histoire des radios libres et dans les souvenirs de ceux qui l’ont vécue, David Lescot signe un spectacle lucide et réaliste qui redonne vie à cette période riche en échanges et réflexions sur le monde à venir, celui des années 1990 et 2000. Privilégiant la comédie foutraque, il crée sur scène un joyeux bordel qui est rondement bien appréhendé par la troupe du Français.
Tous excellents et fantasques à souhait. Impayable en talons et en manteau de fourrure blanche, Christian Hecq est extraordinaire de drôlerie et d’autodérision. En bourgeoise coincée, en gauchiste rebelle, en femme travestie en homme, Elsa Lepoivre est tout simplement formidable. En chanteuse punk rock, en grande gueule à la voix opératique envoûtante, Sylvia Bergé est inénarrable, grandiose. En jeune timide, en animatrice branchée, délurée, Jennifer Decker confirme une riche palette de jeux et séduit par son grain de voix éraillée si particulier. En militant d’extrême gauche énervé, en star barrée du patinage, Alexandre Pavloff excelle. En rappeur enflammé, en livreur de disques maladroit, Nazim Boudjenah est impressionnant. En homme à tout faire rêvant de passer derrière le micro, le tout jeune pensionnaire du français Yoann Gasiorowski promet de faire des étincelles. Enfin, en fille paumée, en ombre rejetée par la société Claire de la Rüe du Can se révèle et livre une interprétation sensible et touchante.
Oui, il y a des longueurs, tout s’emballe et on perd pied, mais cette évocation d’un monde depuis longtemps perdu, d’un beau rêve sans lendemain, fait un bien fou. On peut regretter que ce soit plus documentaire que réflexif, même si derrière les paillettes, un discours plus politique, plus sociétal se dessine. Ne boudons pas pour autant notre plaisir, Les Ondes magnétiques est une friandise acidulée et désopilante qui charme par ce qu’elle dégage de bonnes ententes et d’amusements. Un moment de théâtre plein de fraîcheur et de légèreté qui, une nouvelle fois, démontre la virtuosité sans pareil du Français.
Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Les ondes magnétiques de David Lescot
Théâtre du Vieux-Colombier – Comédie Française
21, Rue du Vieux Colombier
75006 Paris
jusqu’au 1er juillet 2018
du mercredi à samedi à 20H30, le mardi à 19h et le dimanche à 15h
durée 2h00
Mise en scène de David Lescot
Scénographie d’Alwyne de Dardel asssistée de Gala Ognibene
Avec Sylvia Berge, Alexandre Pavloff, Elsa Lepoivre, Christian Hecq, Nazim Boudjenah, Jennifer Decker, Claire de La Rüe du Can & Yoann Gasiorowski
Costumes de Mariane Delayre
Lumières de Paul Beaureilles
Musique originale d’Anthony Capelli et de David Lescot
Son d’Anthony Capelli
Maquillages et perruques de Catherine Bloquère
Collaboration artistique : Linda Blanchet
Conseil historique : Anaïs Kien
Crédit photos © Vincent Pontet