Des courbes, des traits de couleurs vives, envahissent les cimaises du Grand-Palais. Par touche, cet ensemble original dessine le parcours créatif d’un artiste atypique. Loup solitaire, naturiste, le Tchèque František Kupka réinvente son art, dématérialise les formes de façon radicale pour mieux transcender la réalité. En lui consacrant une rétrospective, la RMN lui rend un bien poétique hommage.
Deux portraits de styles fort différents, l’un sensuel, charnel à la manière de Renoir, l’autre tout en ligne de couleurs verticales, accueillent les visiteurs. Visage plein, regard, doux, Madame Kupka veuille jalousement sur les œuvres de son mari. Séparés d’à peine 5 ans, ces deux tableaux montrent à quels points l’esprit novateur du peintre, né en 1871 au cœur de la Bohème orientale, a évolué, pris des virages radicaux. Par cette entrée en matière, les commissaires de l’exposition, Brigitte Leal, conservatrice générale et directrice adjointe en charge des collections du Centre Georges Pompidou, Markéta Theinhardt, historienne de l’art à la Sorbonne et Pierre Brullé, historien de l’art indépendant, invitent à un voyage dans le processus créatif, le cheminement pictural du symbolisme à l’abstraction.
Plus de 230 œuvres signées Kupka sont réunies sous les ors du Grand-Palais, attestant du foisonnement artistique de ce peintre, hors du commun et mal connu. Grâce au parcours, très bien scénographié par Véronique Dolfus, on suit pas à pas l’homme autant que l’artiste. Adepte du naturisme, il s’est représenté, dans Méditation, nu devant un lac où se reflètent les cimes enneigées d’une montagne voisine. Aimant la vie, se passionnant pour les scènes du quotidien, avec le Bibliomane, il peint un homme plongé dans ses lectures, que de jeunes filles tentent en vain de distraire.
Les années défilent. La guerre, où il s’engage comme volontaire, va le marquer à jamais et modifier sa perception du monde évolué. De Opočno où il vit le jour à Paris et sa région où il meurt en 1957, en passant par Vienne, le peintre cherche, dans les altérations des lignes, à se réinventer sans cesse. Ainsi, dans La Baigneuse, il s’amuse de voir le corps de la jeune femme transformée par l’onde de l’eau. Puis, ce sont les couleurs qui attirent l’homme. Dans la Gamme jaune, il irradie son autoportrait d’une incandescente palette de jaunes solaires et joue des infimes différences dans les tons. Imperceptiblement, les paysages, les personnages disparaissent pour laisser place à des silhouettes, des formes géométriques. Ainsi, dans les touches de piano. Le Lac, tableau inspiré de la fugue de Bach, et Plans par couleurs, on devine encore quelques contours, quelques figures, quelques ombres.
Puis, les cercles, les lignes prennent le pas sur la réalité. Les œuvres, toujours très colorées, deviennent de plus en plus conceptuelles de moins en moins figuratives. Les disques de Newton rappellent les tableaux des époux Delaunay. Enfin, Amorpha, fugue à deux couleurs, Autour d’un point ou La Foire se détachent du monde visible, tangible pour faire apparaître la vision de l’artiste. Glissant vers l’abstraction, celui qui en fut certainement le pionnier, garde toujours une place pour une silhouette dans ses peintures comme pour y insuffler la vie.
Jouant de nos perceptions, František Kupka fascine par son abondante créativité et son goût prononcé et solitaire de la recherche artistique. Signant des œuvres singulières, chatoyantes, envoûtantes, il impose son art, son style, que la rétrospective du Grand-Palais met parfaitement à l’honneur.
Kupka, pionnier de l’attraction
Jusqu’au 30 juillet 2018
Grand Palais, Galeries nationales
Ouvert tous les jours de 10h à 20h sauf le mardi, nocturne le mercredi jusqu’à 22h
Prix 14 euros