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Change me ou le mythe noir et contemporain de la transidentité

A la tempête, Camille Bernon et Simon Bourgade évoque, avec force et finesse, la transidentité dans Change Me.

Les mots féroces, terriblement banaux, frappent en plein cœur. Mêlant ingénieusement les styles, passant du fait divers sordide aux Métamorphoses d’Ovide, aux vers bouleversants d’Isaac de Benserade, Camille Bernon et Simon Bourgade enfantent une tragédie moderne, un uppercut théâtral d’une rare intensité qui dénonce les violences subies à être du « mauvais genre » dans un monde hétéronormé.

Sur un plateau plongé dans le noir, des silhouettes apparaissent hantant les lieux tels des fantômes perdus dans une histoire qui les dépassent. À jardin, l’ombre d’une voiture se dessine. Au centre, sur le carrelage blanc, immaculé, d’une salle de bain, un visage apparaît. C’est celui d’une très jeune femme, presque une enfant. Fébrile, Léna (lumineuse Pauline Briand) laisse aller ses sentiments, ses émotions, et évoque avec une rageuse détresse son amour pour Axel (intense et vibrante Camille Bernon), un garçon né fille, que le drame fatal de sa transidentité à rattraper.

En un clin d’œil, on fait un retour dans le passé. On remonte le temps, jusqu’à la nuit où tout a basculé. Démarche masculine, gestes virils, Axel se prépare sur un air de techno rock. Aplatissant ses seins d’un bandage, rasant son inexistante barbe, mettant une chaussette entre ses jambes pour marquer la bosse d’un sexe qu’elle aimerait avoir, elle se transforme pour accorder son apparence à son moi intérieur : celui d’un garçon. Sous le regard inquiet et de moins en moins tolérant de sa mère (épatante Pauline Bolcatto), le jeune homme s’apprête à fêter son anniversaire avec sesdeux potes, Tom (balourd et ténébreux Baptiste Chabauty) et John (bourrin et pataud Mathieu Métral).

Change me_TEmpete_Visuel 2_ © Benjamin Porée_@loeildoliv

Alors que la beuverie bat son plein, qu’Axel est sur le point de connaître bibliquement Léna, les masques tombent. Le secret intime du jeune homme est révélé libérant chez les deux mâles en rut une féroce violence, une barbare férocité. Le drame est en marche, la mort est au rendez-vous. Rien ne pourrait plus arrêter l’imbécile haine, la bêtise humaine, l’intolérable incapacité à accepter la différence.

S’emparant de la terrible histoire de Brandon Teena – tous les personnages, hors Axel, ont d’ailleurs gardé les prénoms originels des protagonistes de ce sordide crime -, qui a notamment inspiré le long métrage Boys don’t cry de Kimberly Peirce, qui a valu à Hillary Swank de décrocher en 2000 l’Oscar de la meilleure actrice, Camille Bernon et Simon Bourgade présentent un spectacle coup de poing qui prend aux tripes. Entremêlant les styles et les époques, jouant sur tous les registres passant des vers sublimes, d’une rare modernité d’Isaac de Benserade, dramaturge français du XVIIe siècle qui a repris à son compte l’œuvre D’Ovide, au stand-up, ils rappellent ô combien la vie genrée, les troubles de l’identité sexuelle n’ont rien de nouveau, ni de subversif. Seule la nature humaine formatée par des siècles de dogmes religieux et de bien-pensance, en a fait une monstruosité à abattre coûte que coûte.

Change me_TEmpete_Visuel 1_ © Benjamin Porée_@loeildoliv

Puisant dans l’histoire d’Iphis et Ianté, que le célèbre poète latin évoque dans ses Métaphores, reprenant les dépositions, que l’on entend en fond sonore, suite à la plainte pour viol déposée par Brandon Teena, les deux jeunes metteurs en scène nous entraînent dans un tourbillon de passions, de violence et d’incompréhension qui transcende le temps et ouvre avec une force délicate nos consciences.

Exsangue, secoué jusqu’à l’âme, on ressort troublé, terrassé, mortifié de ce spectacle cinglant, de ce thriller poignant qui nous met face à cette terrible et cruelle réalité qu’est la peur de l’autre, celui qui n’est pas dans la norme. En élevant le drame au statut de mythe contemporain, Camille Bernon et Simon Bourgade signent une seconde œuvre militante, étincelante qui laisse un goût terriblement amer. En nous apostrophant sur les dénis, les violences subies par les personnes LGBT encore et toujours aujourd’hui, metteurs en scène et comédiens sonnent le glas à l’intolérance, espérant vainement que cette tragédie, qui fait des hommes des bêtes sanguinaires, ne se reproduise plus. Bravo !

Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


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Change me, un montage de Camille Bernon et Simon Bourgade d’après Ovide, Isaac de Benserade et la vie de Brandon Teena
Théâtre de la Tempête
Route du Champ de Manoeuvre
75012 Paris
jusqu’au 10 juin 2018
du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h30
durée 1h45

Mise en scène de Camille Bernon et Simon Bourgade
Avec Camille Bernon, Pauline Bolcatto, Pauline Briand, Baptiste Chabauty et Mathieu Metral
Regard extérieur : Mathilde Hug
Scénographie de Benjamin Gabrié
Création vidéo de Raphaëlle Uriewicz
Lumières de Coralie Pacreau
Son de Vassili Bertrand
Conception dessin animé : Marie Blandine Madec
Réalisation dessin animé : Angèle Chiodo d’après le film de Susan Muska et Greta Olafsdottir

Crédit photos © Benjamin Porée

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