Les mots douloureux s’égrènent lentement. Les vérités enfouies dans le subconscient se dévoilent avec une évidence crue, brutale. Sur fond de diagnostic erroné, Denis Lachaud plonge dans l’enfer de souvenirs incestueux et livre une pièce sans concession forçant nos regards à s’immerger dans l’inexprimable, l’ignoble. Dirigé avec minutie par Pierre Notte, Benoit Giros livre un jeu puissant, habité.
Sur une scène des plus dépouillées, un homme en tenue sobre (épatant et bouleversant Benoit Giros) attend que tout le monde s’installe et que le silence envahisse l’espace. Il se présente rapidement. C’est un psychanalyste de renom qui, invité à un colloque officiel présidé par une ministre, expose un cas d’erreur de diagnostic qui a plongé le patient dans les affres de la culpabilité, avant de se libérer du lourd secret qui a ravagé sa jeunesse, détruit sa vie d’homme.
Louvier, homme d’une quarantaine d’années, marié, père de deux enfants, a été, il y a 10 ans, dépisté schizophrène. Malgré les séances, la prise de médicaments, rien n’y fait. Son mal-être ne le quitte pas. Régulièrement, dans le métro, il est sujet à des hallucinations, où tous les hommes désirent le sodomiser sans autre forme de préambule. Ne supportant plus ces voix qui hantent son esprit, il décide de s’adresser à un autre spécialiste. Rapidement, ce dernier pose un diagnostic différent. Louvier est un bipolaire, un homosexuel refoulé.
Séance après séance, la terrible, lourde vérité, enfouie au plus profond de son inconscient fait jour. De 8 à 13 ans, à chaque séjour en Normandie chez sa tante, il s’est fait violer par son oncle. Il faudra du temps, du courage, pour que les mots, bruts, crus, brûlants sortent enfin de sa bouche et apaisent son âme dévastée. Si l’on peut regretter que l’ouverture du spectacle, sous forme de séminaire, impose une distance avec le propos et empêche de se laisser totalement envahir par la déferlante émotionnelle puissante à laquelle invite le jeu vibrant, prenant de Benoit Giros, on est saisi par l’âpreté, la violence de cette confession intime, de cette résilience salvatrice qui offre à Louvier une véritable renaissance.
Parler de sexe, de viol, de sodomie, sans vulgarité aucune, est la gageure réussie par Denis Lachaud qui signe un texte sans fard, très imagé, inspiré de plusieurs témoignages, que la mise en scène particulièrement soignée de Pierre Notte souligne avec ingéniosité et finesse. Loin de son travail habituel, fait de mélancolie drolatique et de cynisme joyeux, il nous entraîne par touches et par un savant jeu de lumières, dans les méandres glauques, ignominieux d’une nature qui s’apparente plus à la bête qu’à l’homme. Passant d’un rôle à l’autre avec une facilité déconcertante, tour à tour psy, grand ponte ou patient, Benoit Giros donne magistralement vie aux mots et nous attrape malgré un préambule qui nous place au loin.
La magie lente, c’est ainsi que Sigmund Freud appelait la psychanalyse, est une pièce construire en strates multiples à l’instar de notre mémoire. Un moment de théâtre singulier, nécessaire qui ébranle certitudes et préjugés.
Par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore
La magie lente de Denis Lachaud
Théâtre de Belleville
94, rue du faubourg du temple
75011 paris
Jusqu’au 15 avril 2018
du mercredi au samedi à 19h15 et le dimanche à 15h00
durée 1h10
Mise en scène de Pierre Notte
Avec Benoit Giros
Lumières d’Eric Schoenzetter
Costume de Sarah Leterrier