Les paroles sont scandées au son des beats. Les mots frappent l’air, brutaux, féroces. S’emparant de l’un des plus anciens mythes de l’antiquité, D’ de Kabal et Arnaud Churin nous plongent au cœur de l’une des plus sanglantes tragédies familiales grecques et évoquent en filigrane l’importance vitale de changer en profondeur la justice des Hommes pour un monde où l’égalité ne serait pas un vain mot.
Sur une sorte d’estrade métallique faisant face au public, unique élément de décor, trois ombres apparaissent. Elles sont toutes partie liée avec la famille des Atrides dont le chef est le grand Roi Agamemnon (impressionnant D’ de Kabal). L’une après l’autre, elles vont prendre la parole pour conter leur sanglante et funeste histoire. Afin de laver l’honneur de Ménélas, son frère cadet, dont la femme, la belle Hélène, a été enlevée par Paris, un prince troyen, Agamemnon accepte de traverser les mers pour attaquer et détruire l’antique cité de Troie. Alors que les desseins des dieux lui sont défavorables, il sacrifie sa fille, la vierge Iphigénie, pour obtenir leur secours. Cet infanticide pèsera lourdement sur sa conscience et sera le début d’une succession d’actes vengeurs et sanglants qui amènera sa noble maison à sa perte, à sa ruine.
Avec finesse et ingéniosité, D’ de Kabal adapte la célèbre trilogie d’Eschyle sous la forme d’un opéra Hip-Hop, mêlant adroitement le son des beats, la poésie urbaine et les textes antiques. Au-delà du drame, il réinvente et dépoussière les mythes ancestraux, les modernise pour qu’ils fassent écho à l’actualité et se fondent parfaitement dans le paysage noir de nos sociétés modernes qui vont à vaut l’eau. Dans un monde où vengeance, irrespect, inégalité dominent actions et sentiments, il cherche dans les anciennes écritures le fondement d’une justice plus juste, moins partial.
Soulignée par la mise en scène sobre et efficace d’Arnaud Churin, la réécriture de D’ de Kabal invite à une réflexion sur ce que signifie réellement le terme égalité et offre les clés pour modifier en profondeur nos relations aux autres. Luttant contre les préjugés, le sexisme, la misogynie, le racisme, il esquisse, dans un final un brin long, sentencieux et surabondant, des cartes pour mieux-vivre ensemble.
Si tout est loin d’être parfait dans cette version opératique Hip-Hop des plus célèbres œuvres d’Eschyle, il faut reconnaître la force persuasive et subversive de D’ de Kabal pour transformer ces histoires antiques de vengeance, de trahison et de malédiction en un brûlot politique et sociale qui ébranle certitudes, schémas de pensées normés et consciences. Portée par dix-neuf comédiens et chanteurs engagés, des morceaux musicaux intenses, prenants orchestrés par Arnaud Vernet Le Naun et Franco Mannara, Orestie se révèle, malgré ses longueurs et ses maladresses, un spectacle puissant qui offre les clés d’une société apaisée où toutes les communautés, les sexes, les genres, les êtres pourraient vivre en harmonie et parfait équilibre.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Orestie, opéra Hip-Hop d’après Eschyle
MC93 – Maison de la culture de Seine-Saint-Denis
Bobigny 9 Boulevard Lenine
93000 Bobigny Bobigny
jusqu’au 13 mars 2018
vendredi et mardi à 20h30, samedi à 18h30 et dimanche à 16h « à
durée 2h15
Écrit par D’ de Kabal
Mise en scène Arnaud Churin et D’ de Kabal
Documentation, dramaturgie, révision du texte Emanuela Pace
Collaboration à la mise en scène Arnaud Chéron
Avec Arnaud Churin, Murielle Colvez, D’ de Kabal, Mia Delmaë, Marie Dissais, Didier Firmin, Hutch, KIM, Kohndo, Mike Ladd, Franco Mannara, Nina, Raphaël Otchakowski, Emanuela Pace, Guillaume Rannou, Scouilla, Arnaud Vernet Le Naun, Alexandre Virapin, Isabelle Zanotti
Création musicale collective sous la direction d’Arnaud Vernet Le Naun et Franco Mannara
Scénographie Philippe Marioge
Création lumières Kelig Le Bars
Costumes Sonia de Sousa et Olivier Bériot
Son Thierry Cohen, Eric Berrard, Sébastien Viguié
Régie générale Richard Pierre
Régie lumières Pascal Alidra et Clémence Perrin
Et l’équipe technique de la MC93
Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage