Des voix de femmes se mêlent dans la pénombre d’un bois. Elles crient désirs, envies, mais refusent d’être des victimes sacrificielles d’un monde machiste. En nous invitant à une relecture totale du Petit Chaperon rouge, Claudine Galea signe un conte éminemment féministe, transcendé par la mise en scène ciselée de Benoît Bradel, qui ausculte la relation mère-fille et le rapport aux hommes.
Imperceptiblement, la salle plonge dans le noir. D’étonnants bruits de grenouilles, des piaillements d’oiseaux parviennent à nos oreilles. Puis une voix chantante s’élève, résonnant avec cet écho si particulier des sous-bois. C’est celle d’une femme (détonnante Emmanuelle Lafon) qui présente le spectacle à venir et conte le lien fait d’amour et d’agacement qui unit une mère (surprenante Émilie Incerti Formentini) et sa fille, la petite (formidable Séphora Pondi).
Vivant dans un petit pavillon de banlieue, proche d’un parc abandonné, nos deux héroïnes se supportent l’une, l’autre. La plus jeune rêve de liberté, mais ne veut pas malgré tout délaisser l’autre, qui semble se laisser happer par un désespoir faussement joyeux. Puis, il y a la grand-mère dont il faut s’occuper, qui habite de l’autre côté du sombre bois. Pas question pour la petite de perdre une après-midi en mondanités familiales, alors que ses amies l’attendent pour zoner.
En ce dimanche après-midi, chacune de nos protagonistes va donc vaquer à son occupation, toutes deux sont toutefois attirées par ce bois, si proche, si étrange, à la voix enchanteresse, peuplé de loups (épatant et charismatique Seb Martel) et de chasseur (inquiétant Raoul Fernandez).
Si l’on reconnaît en filigrane le conte de Charles Perrault, Claudine Galea en revisite les grandes lignes. Bien sûr qu’il y est question de la place de la femme dans la société, des relations complexes entre mère et fille. Mais, de son écriture vive, curieuse, parfois singulière, elle en dépasse les fondements, refusant le statut victimaire et sacrificielle de la gent féminine. Ici, la petite est forte. C’est une guerrière qui refuse de se rendre sans combattre. À la fleur de l’âge, la mère n’est pas en reste. Envahie de désir charnel, d’envie sexuelle, bestiale, elle rêve de découvrir le loup sexy qui hante cette forêt en déperdition, remplie des détritus de la ville. Car au-delà des rapports humains rappelant que le plus méchant, le plus dangereux n’est pas toujours celui qu’on croît, à partir d’une satire de nos sociétés sexistes, l’auteure interpelle sur les enjeux environnementaux.
Avec finesse et empathie, Benoît Bradel s’empare de ce conte ténébreux et nous entraîne dans un voyage musical au cœur de sombres futaies où nos peurs sont tapies. Il délie le fil des mots pour nous plonger au plus prés de nos troublants émois. Enchaînant les tableaux saisissants, les impressions captivantes, il signe un spectacle total, engagé, qui séduit son humour salvateur et son inquiétante beauté.
Plongez dans les eaux troubles de ces bois pas si charmants que ça, laissez vous envoûter par le jeu ciselé, tonitruant de Séphora Pondi, et les coups de gratte rock de Seb Martel. Un moment de théâtre singulier qui revivifie et ébranle les jolies fables de notre enfance.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial de Strasbourg
Au bois de Claudine Galea
TNS – Salle Gignoux
1 Avenue de la Marseillaise
67000 Strasbourg
jusqu’au 28 mars 2018
du mardi au samedi à 20h, exceptionnellement le samedi 17 mars à 16h00
Durée 1h25
Reprise au théâtre de la Colline
Petit théâtre
15, rue Malte-Brun
75020 Paris
Du 3 au 19 mai 2018
du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h et le dimanche à 16h
Texte de Claudine Galea
Mise en scène de Benoît Bradel assisté de Maëlle Dequiedt
Avec Raoul Fernandez, Émilie Incerti Formentini, Emmanuelle Lafon, Seb Martel, Séphora Pondi
Scénographie et costumes de Clédat & Petitpierre
Musique de Alexandros Markeas, Seb Martel
Création vidéo de Kristelle Paré
Création son de Thomas Fernier
Lumière de Sylvie Garot
Collaboration à la dramaturgie : Pauline Thimonnier
Régie générale :Mathilde Chamoux
Régie plateau & assistanat régie générale : Marie Bonnemaison
Réalisation costumes : Anne Tesson
Travail vocal : Dalila Khatir
Travail corporel : Akiko Hasegawa
Avec la participation filmée de François Chattot, Vincent Dissez, Norah Krief, Dalila Khatir, Annie Mercier, Thalia Otmanetelba
creation au TNS
Production du TNS
Crédit photos © Jean Louis Fernandez