Les mots, poétiques, enchanteurs, guerriers d’Homère, s’enchaînent comme des torrents, des vagues puissantes qui déferlent, se fracassent sur les plages rocailleuses et fantasmées d’Ithaque. Avec finesse, ingéniosité, Pauline Bayle redonne vie à l’Odyssée d’Ulysse et l’ancre dans la réalité du monde moderne en prise avec la crise des migrants. Eblouissant !
Une estrade de bois trône au centre de la scène, entourée d’une dizaine de chaises grises. Tout est épuré à l’extrême. Rien ne doit venir perturber la beauté du texte, sa force lyrique, sa vigueur épique. Une voix rompt le silence. Elle annonce les péripéties à venir, le retour du héros, le triomphe du fils d’Ulysse face aux prétendants. Doucement, tout se met en place. Les cinq comédiens s’emparent de l’espace. Tous vêtus à l’identique, ils prennent tour à tour la parole, se glissent dans la peau, sans distinction de sexe, de chaque protagoniste de cette épopée antique.
Bien que la forme épurée, voulue par Pauline Bayle, puisse paraître sèche, aride, il n’en est rien. Avec une intelligence folle, elle stimule notre imaginaire, le force à voir au-delà des murs, du temps. Ainsi porté par les mots, le jeu virtuose des comédiens, l’on voit apparaître en arrière-plan la salle du trône de la rocheuse Ithaque, la grotte, nid d’amour, de Circée, le bateau d’Ulysse battu par la tempête et les flots. Emporté dans un tourbillon puissant, féroce, on se laisse voguer sur les eaux sombres, tentatrices des mers grecques, saisir par le désir de vengeance d’Andromaque, envoûter par l’amour sans faille de Pénélope pour son mari.
Dépassant les aventures oniriques, troubles du héros antique, Pauline Bayle esquisse une analyse plus fine de nos sociétés contemporaines. Sans dénaturer l’œuvre d’Homère, elle conte la vie de ces migrants ballotés par une houle déchaînée, inflexible, rude, rejetés par des peuples refusant la différence, les gens venus d’ailleurs. Troublé par la force du texte et par l’adaptation qu’en fait la jeune metteuse en scène, on est subjugué par sa fine analyse, l’étonnante énergie de son engagement, ainsi que de celui de ses comédiens.
Totalement habités par les différents personnages qu’ils incarnent, Charlotte van Bervesselès, Florent Dorin, Alex Fondja, Viktoria Kozlova et Yan Tassin, chacun à leur manière, nous embarquent sur les traces du héros vagabond, tant dans ses errances que de sa volonté farouche et sanguinaire de reprendre son dû, son pouvoir et son trône. Une épopée enchanteresse, transgenre et cruelle, une ode à la différence et au respect d’autrui, un spectacle voir sans tarder.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Odyssée, adaptation Pauline Bayle d’après Homère.
Théâtre de la Bastille
76 Rue de la Roquette
75011 Paris
Iliade les 8, 10, 15, 17, 23, 25, 30 janvier et le 1er février à 19h
Odyssée les 9, 12, 16, 19, 24, 26, 31 janvier et le 2 février à 19h
Intégrale les samedis 13, 20, 27 janvier et 3 février à 17h
Chaque partie dure 1H30
Mise en scène Pauline Bayle assistée d’Isabelle Antoine.
Avec Charlotte van Bervesselès, Florent Dorin, Alex Fondja, Viktoria Kozlova et Yan Tassin.
Lumières de Pascal Noël.
Costumes Camille Aït.
Scénographie Pauline Bayle assistée de Laurine Baron.
Crédit photos ©Simon Gosselin