La malédiction qui entoure le drame Shakespearien qui retrace la prise du pouvoir écossais par Macbeth semble avoir quelque peu frappé le directeur de l’Odéon. Si Chloé Réjon et Adama Diop irradient la scène de leur présence flamboyante, mortifère, la mise en scène froide, clinique de Stéphane Braunschweig a du mal à convaincre tant elle manque de relief, de folie, de noirs attraits. Dommage !
Des murs de carrelage blanc, froid, tapissent la scène. Devant, trois étranges créatures aux ventres bien ronds, assisses sur des seaux métalliques, entonnent une étrange litanie, une prophétie sombre, leur future rencontre avec le héros du jour, Macbeth (remarquable Adama Diop), le combattant valeureux qui va permettre à l’Ecosse de dominer la Norvège dans le combat acharné qui les opposent à quelques lieux de là. Vêtues de haillons, entourés de corps sanglants, mourants, qui s’amoncellent, elles ont hâte de lui dire son avenir, de faire germer espérances, doutes et fiels au cœur de son âme tourmentée. C’est écrit au plus profond de leurs entrailles, l’homme providentiel sera roi mais n’aura pas de descendance.
Poussé par son ambitieuse et vénéneuse épouse (éblouissante Chloé Réjon), Macbeth va gravir les marches dorées du pouvoir écrasant, tuant les obstacles qui pourraient empêcher son ascension. Mais le sang versé, certes avec parcimonie ici, a un prix. Petit à petit, la raison des deux souverains va s’effriter, les morts vont réclamer leur dû, les vivants leur vengeance. La folie âpre des meurtriers va envahir leur esprit sans possibilité de retour.
S’emparant de la plus courte des tragédies de Shakespeare, Stéphane Braunshweig a sculpté autour du héros déchu un écrin ingénieux, une scénographie qui se joue des espaces nous entraînant dans les arcanes de la folie, de la boucherie et du pouvoir. Malheureusement, sous employée, elle ne suffit pas à insuffler la vie à ce drame noir, à cette réflexion fine sur l’ambition démesurée qui pousse aux crimes. Trop clinique, trop austère, sa mise en scène, ne laisse pas la place au second degré distillé çà et là par le dramaturge anglais, à la dimension dramatique de cette aliénation des âmes bouffées par la culpabilité, la paranoïa.
Dans le froid triste de cette lande écossaise à peine esquissée par Braunschweig, le couple Macbeth explose, irradie la scène, dominant sans partage l’ensemble de la distribution particulièrement inégale. Imperceptiblement, Adama Diop se glisse dans la peau de ce tyran qui manque d’envergure et fait sien le costume de cet ogre sanguinaire jusqu’à la folie brûlante, incandescente. Face à lui, Chloé Réjon est une sublime et perfide reine. Portant à merveille les créations de feu Azzedine Alaïa, elle donne une force glaciale, âpre à cette ambitieuse Lady qui se brûle les ailes, rongée par sa conscience trop humaine.
Si noire superstition, il y a, on peut dire qu’elle a quelque peu paralysé l’esprit créatif du directeur de l’Odéon. Faute de couleurs, de fureur, d’aspérités, le Macbeth de Braunschweig laisse un goût d’inachevé, d’inabouti. Seul le funeste couple Macbeth sauve l’ensemble d’un ennui certain.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Macbeth de William Shakespeare
Odéon – théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon
75006 Paris
jusqu’au 10 mars 2018
du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h. Relâche le dimanche 28 janvier 2018
Durée estimée 2h45 – entracte compris
mise en scène et scénographie de Stéphane Braunschweig assisté de Laurence Kélépikis
traduction de Daniel Loayza et Stéphane Braunschweig
avec Christophe Brault, David Clavel, Virginie Colemyn, Adama Diop, Boutaïna El Fekkak, Roman Jean-Elie, Glenn Marausse, Thierry Paret, Chloé Réjon, Jordan Rezgui, Alison Valence, Jean-Philippe Vidal
collaboration artistique : Anne-Françoise Benhamou
collaboration à la scénographie : Alexandre de Dardel
costumes de Thibault Vancraenenbroeck assisté d’Éricka Selosse
lumière de Marion Hewlett
son de Xavier Jacquot
vidéo de Maïa Fastinger
maquillages / coiffures de Karine Guillem
stagiaire assistante à la mise en scène : Isis Fahmy
production Odéon-Théâtre de l’Europe
Crédit photos © Thierry Depagne