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Le menteur, jeu de dupes haut en couleur pour vers cornéliens

A la tempête, Julia Vidit dépoussière Le Menteur de Corneille.

La tête tourne tant les vérités se confondent en mensonges. Au jeu de l’amour, les jeunes gens bien nés s’arrangent des convenances, se laissent berner par quelques belles paroles. Dépoussiérant la dernière comédie baroque de Corneille, Julia Vidit et son complice Guillaume Cayet, signent une farce satirique, drôle que l’ingénieuse scénographie de Thibaut Fack habille d’un bel écrin psychédélique.

Quelle étrange impression nous assaille quand on pénètre dans la grande salle du théâtre de la Tempête ? On se sent épié par des centaines d’yeux scrutateurs. Il faut dire qu’un immense mur fait de 24 miroirs nous fait face. On peut ainsi observer les autres spectateurs avec un malin plaisir, tout en étant l’objet, mal à l’aise de leur regard indiscret. Sensation étrange, singulière, d’être dans un jeu dont on ne connaît pas les règles. Cette entrée en matière peu orthodoxe, nous oblige très vite à être voyeur à nos corps défendant des événements qui vont suivre.

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Dans un écrin orange pétard, Dorante, un jeune fanfaron (fougueux Barthélémy Meridjen), tout juste arrivé de province, se rêve en grand séducteur de jeunes beautés bien nées. Prêt à tout pour arriver à ses fins, il s’invente une vie faite d’aventures rocambolesques, tout autre que celle du morne étudiant qu’il est. Devant son valet incrédule (surprenante Lisa Pajon, que a fait les beaux jours cet automne, toujours travesti en homme, du Poche-Montparnasse dans Les deux frères et le lions), il enjôle, dupe, mystifie sans vergogne avec un aplomb insolent, éblouissant. Très vite, deux damoiselles, deux cousines, la discrète Lucrèce (épatante Aurore Déon) et la bavarde Clarisse (charmante Karine Pédurand), se laissent embobiner et rêve de la conquête, ce beau et ténébreux parleur.

Enferré dans ses farces, ses tromperies, ce mythomane patenté s’enfonce toujours un peu plus loin dans le mensonge, se perdant dans les méandres de sa mémoire fantasmée. Rattrapé par ses menteries, pris à son propre piège, Dorante n’aura d’autres choix que d’accepter le sort sans appel que lui réserve son père. La raison aura-t-elle donc le dessus sur l’amour et la passion ?

Le menteur_Vidit_la tempete_2_©Anne Gayan_@loeildoliv

Avec espièglerie et malice, Corneille s’amuse à brocarder l’hypocrisie qui régit les relations sociales et humaines de son temps. Jouant des vers, il signe une farce acide où il dénonce habilement le jeu des apparences, des tromperies et des travestissements qui obscurcissent le jugement et brouillent toute vérité. S’emparant de ce texte étonnement moderne qui résonne si justement dans nos sociétés superficielles, Julia Vidit, grâce au talent de Guillaume Cayet, en donne une lecture contemporaine rabotant ici quelques Alexandrins, en rajoutant là. Bien que la versification se laisse un peu trop entendre, la jeune metteuse en scène s’appuie sur l’intéressante et captivante scénographie imaginée par Thibaut Fack pour donner force à son propos. Tout à tour miroir ou glace sans tain, les 24 panneaux articulés qui servent d’unique décor permettent toutes les facéties, tous les amusements, tous les quiproquos. Chacune des configurations transforment ainsi le plateau en salon, cour ou devanture de maison. L’effet est saisissant d’autant que cet étonnant écrin, cette boule à facette renfermant les secrets de chacun, devient à n’en pas douter l’un des principaux attraits de cette création.

Côté comédiens, la distribution est plutôt équilibrée et de belle facture. On retiendra surtout Barthélémy Meridjen convaincant et charismatique en Jeune premier zélé, qui a maille à partir avec deux furies en jupons fluos prêtes à tout les stratagèmes pour son cœur, d’un côté, la pétulante Karine Pédurand, de l’autre la plus réservée Aurore Déon, drolatique quand elle se travestit en bonne.

Si l’on peut regretter quelques longueurs, notamment une scène finale superflue qui semble posée là par un malencontreux hasard, on se laisse emporter dans cette ronde des faux-semblants fort bien troussée, séduire par cette comédie douce-amère portée par un jeune collectif fort inventif.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


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Le menteur de Pierre Corneille
Théâtre de la Tempête
Cartoucherie
Route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
Jusqu’au 18 février 2018
du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h
durée 1h50 environ

adaptation de Guillaume Cayet et de Julia Vidit
mise en scène de Julia Vidit
avec Joris Avodo, Aurore Déon, Nathalie Kousnetzoff, Adil Laboudi, Barthélémy Meridjen, Lisa Pajon, Karine Pédurand, Jacques Pieiller
dramaturgie et écriture de Guillaume Cayet
scénographie de Thibaut Fack
lumière de Nathalie Perrier
son de Bernard Valléry et Martin Poncet
costumes de Valérie Ranchoux
maquillage, perruques de Catherine Saint-Sever
régie lumière de Jeanne Dreyer
régie générale de Loïc Depierreux
régie son de Martin Poncet
confection costumes : Alix Desceux assistée de Maeva Filée, Blandine Achard et Marion Sola
construction du décor Atelier de la Manufacture-CDN de Nancy en partenariat avec Like Mirror
administration et production : Ariane Lipp

Crédit photos © Anne Gayan

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