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Fabio Lopez, le chorégraphe perfectionniste

De passage à Paris, le jeune chorégraphe Fabio Lopez revient sur son fulgurant parcours.

Silhouette athlétique, nerveuse, cheveux bruns courts, yeux scrutateurs, Fabio Lopez fait partie de ces jeunes chorégraphes qui conjuguent avec une habilité déconcertante rigueur et talent. Revendiquant son attachement au ballet néo-classique, cet ancien élève de Maurice Béjart a créé en 2015 sa compagnie illicite dont le tout dernier programme sera présenté ce samedi à l’Apollo théâtre à Paris.

Fabio_Lopez_©Vincent Brisson_@loeildoliv

Basé à Bayonne, le jeune homme d’à peine 30 ans vient régulièrement à Paris. Contacté par Jean-Christophe Paré, directeur des études chorégraphiques du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP), il intervient auprès des élèves de dernières années de la prestigieuse institution dans le cadre des opus que ces derniers doivent présenter en cours de scolarité. C’est à l’occasion de la présentation de ces programmes courts que nous avons pu rencontrer le fougueux chorégraphe dans un café de Paris près de République. Outre son accent rappelant ses origines lisboètes, ce que l’on remarque tout de suite chez Fabio Lopez, c’est son regard pétillant, curieux, sa grâce féline.

Un cursus académique

Fabio_Lopez_©DAvid Herrero_@loeildoliv

Issu des quartiers populaires de Lisbonne, la jeunesse du futur danseur a été assez dure. Premier de la classe, corps gracile, il essuie les quolibets, les moqueries de ses camarades. « J’étais leur souffre-douleur, se souvient le jeune homme. Face à cette situation assez délicate, les professeurs ont assez vite conseillé à mes parents d’envisager de me changer d’établissement. Par chance, mon père avait un ami qui travaillait à l’ Escola de Dança do Conservatório Nacional (EDCN) et qui lui a suggéré de me faire passer l’audition d’entrée. Étant assez athlétique – je jouais beaucoup au Volley Ball, enfant – , j’ai été sélectionné pour intégrer la célèbre institution. C’est comme cela qu’à onze ans, la danse est entrée dans mon existence. C’est un pur hasard. Je n’avais pas de goût spécial pour cette discipline. » C’est un changement de vie radical pour Fabio Lopez. Alternant cursus académique et cours de danse, la formation qui dure huit ans, est complète. « Tout est fait, explique-t-il, pour qu’à la sortie, nous puissions intégrer la vie de danseur professionnel avec une tête bien pleine. Ainsi, il n’est possible de passer d’une année à la suivante qu’en ayant validé les études académiques. C’est un prérequis. Il y a des examens tous les trimestres pour nous évaluer. Nous étions 8 filles, 8 garçons par classe, c’est un privilège d’apprendre dans ces conditions. C’était important pour moi que mes parents soient fiers de moi. »

La danse, une passion tardive

Fabio_Lopez_©REgard en coin_Stephane Belloccq_@loeildoliv

Au début, la danse n’est qu’un moyen pour intégrer la prestigieuse école de danse de Lisbonne pour le jeune homme. La discipline n’a que peu d’attrait pour lui. Bosseur infatigable, bon élève, il se donne à fond. Toujours premier de la classe, il ne peut pas rater, pas trébucher. « Jusqu’à mes 17 ans en 2004, raconte-t-il avec un naturel confondant, année de mon obtention du diplôme, la danse était une obligation. Je faisais tout pour être le meilleur, mais pas par goût. Le déclic s’est produit, le jour où la compagnie de Maurice Béjart est venue à Lisbonne présenter un programme qui était composé du Boléro de Ravel et de L’Oiseau de feu de Stravinsky. Loin d’être juste un faire-valoir de la ballerine, le danseur chez Béjart a une vraie présence scénique, un vrai rôle, une vraie partition. C’était après les pièces chorégraphiques contemporaines que j’avais vues grâce au Ballet Gulbenkian, une vraie révélation. Je savais enfin ce que je voulais faire allier la rigueur du classique avec l’épuisement corporel que peuvent demander certains ballets contemporains. J’ai toujours été sportif, le dépassement de soi a toujours était important pour moi. »

Les années Béjart

Fabio_Lopez_Regard en coulisse_Stephanebellocq_@loeildoliv

Persévérant, obstiné, Fabio Lopez n’a plus qu’une idée en tête rejoindre la compagnie de Maurice Béjart. Pourtant ses pas le mènent à New York dans un premier temps à la Julliard Shcool, dont il vient d’obtenir une bourse d’été. Il y reste un mois. D’abord séduit par le programme d’enseignement où on lui vend la possibilité d’apprendre sous la férule de Jiří Kylián, de William Forthyse et Ohad Naharin. « J’ai hésité à rester, avoue-t-il, mais j’avais cette obsession pour Béjart et son travail. Il n’y avait pas à tergiverser, c’était avec lui que je voulais continuer mon enseignement. A l’époque, il était déjà plus vraiment considéré comme un chorégraphe contemporain. Mes collègues me regardaient bizarrement, mais j’ai tenu bon. J’ai passé les auditions pour intégrer l’École-Atelier Rudra Béjart à Lausanne. J’ai été pris. Je ne regrette absolument rien et comme le dit Ariane Dollfus dans son dernier ouvrage, Béjart. Le démiurge, il était un avant-gardiste. Tout ce que l’on fait aujourd’hui, quand on parle d’un spectacle total, pluridisciplinaire, d’interaction avec le public, c’est l’essence même de ses créations dès les années 1960. » Deux ans durant, le danseur en herbe suit les cours du maître. Il danse de 9 à 19H. Pas question de se poser, l’entraînement est de tous les instants. « On pouvait même, explique Fabio Lopez, hors des horaires imposer continuer à travailler sur des variations personnelles. C’est un engagement total. Je ne regrette absolument pas le choix que j’ai fait. J’avais en plus la chance d’être boursier. Du coup comme l’école était gratuite, je n’étais pas dépendant de mes parents ni pour la nourriture, ni pour le logement. C’était pour moi le début d’une grande liberté. » A la fin du cursus, après avoir participé à quelques ballets du maître, le jeune danseur a l’envie d’aller voir ailleurs, de découvrir de nouveaux horizons. Puis Maurice Béjart, 79 ans, semble de plus en plus fatigué, il ne voulait pas assister à la fin du chorégraphe, qui décède en 2007, soit un an après son départ.

Aller simple pour le Pays basque

Fabio_The fallen king_©Polina Jourdain-Kobycheva_@loeildoliv

Depuis que la danse est devenue une passion pour Fabio Lopez, ce dernier est attiré comme un aimant par le néoclassique. La rigueur que cette discipline impose, est son moteur. « En discutant avec un de mes collègues de l’Ecole-atelier Rudra Béjart sur ce qu’on allait faire en sortant de cette formation, se souvient le jeune homme, ce dernier m’a conseillé de me renseigner sur Thierry Malandain. Il pensait que son travail pouvait m’intéresser. Hasard de calendrier, j’étais à Paris quand il présentait Les créatures à Chaillot. J’ai été fasciné par son écriture chorégraphique. J’avais 19 ans, j’ai demandé à passer une audition, car pour moi c’était une évidence qu’après Béjart, Malandain était la suite logique. Tout s’est bien passé. J’ai intégré sa compagnie dans la foulée. J’y suis resté neuf ans. D’ailleurs son Après-midi d’un Faune est une de ses œuvres qui m’a le plus marqué. » Défendant sans restriction le néoclassique, le chorégraphe biarrot séduit le jeune danseur. Avec acharnement, à force de volonté, Fabio Lopez gravit les échelons, jusqu’à pouvoir interpréter les premiers rôles. « Pour évoluer au cœur de la compagnie, explique-t-il, il faut captiver l’attention de Malandain, lui donner envie de travailler avec nous. Lui seul décide si l’on peut aller vers des partitions plus complexes, plus dures. Petit à petit, j’ai pris de l’assurance, ma technique s’est affinée et j’ai pu ainsi aller vers des pas, des enchaînements qui m’étaient difficiles à tenir à mon arrivée. Je crois aussi qu’il y a eu un déclic dans ma vie personnelle qui m’a permis de me dépasser sur scène. » C’est dans Magifique, ballet entre réel et imaginaire créé en 2009, que le jeune danseur explose littéralement. C’est aussi étonnement la dernière pièce qu’il jouera en tant que membre de la compagnie Malandain. Comme lui, le spectacle sortira du répertoire en 2015. « En 2013, raconte-t-il, je me suis blessé s’en est suivi une hernie discale. J’ai continué à danser, mais cela devenait de plus en plus douloureux. Je n’ai pas réussi à me soigner. Je suis allé jusqu’au bout de la tournée. Puis en fin de saison en 2015, j’ai décidé de quitter la compagnie Malandain et d’arrêter de danser en public, mon corps ne pouvait plus suivre ni l’entraînement, ni l’enchaînement des spectacles. Je me sentais régresser. Je n’arrivais plus à faire certains mouvements. Il a donc fallu que je me réinvente, que je trouve une autre manière de faire ce métier. »

La chorégraphie en point de mire

Dés les premières années de son cursus d’étude à Lisbonne, Fabio Lopez s’est frotté à des exercices d’improvisation, de composition. « C’était important, explique-t-il, de pouvoir maîtriser les différents aspects de la discipline. Très vite, cela m’a fasciné de pouvoir travailler avec les autres sans pour autant être mis en avant. Du coup, quand j’étais chez Malandain, en parallèle de mon travail pour lui, j’ai commencé à écrire quelques enchainements, quelques lignes chorégraphiques. Mes premières créations ont plu. J’ai donc monté quelques pièces en dehors de la compagnie. En 2012, j’ai gagné le 3ème Prix ADAMI/Synodales présidé par Emilio Calcagno, avec la pièce Inês. Ça a été le début de plusieurs commandes. Quand j’ai dû quitter Malandain, c’était presque évident que je devais voler de mes propres ailes et créer ma propre compagnie. Ce que j’ai fait en 2015. C’est ainsi qu’est né Illicite, comme un pied de nez à l’air du temps qui veut que les rêves, le néoclassique n’ont pas le droit de cité. » Soutenu par la Fondation Igor Stravinsky, le jeune chorégraphe répond à quelques petites commandes. Toujours mettant au cœur de son engagement sa rigueur, son perfectionnisme, il crée, en 2016, Molto Sostenuto, première des pièces chorégraphiques de la compagnie Illicite à être présentée au public. « En fait, se souvient-il, ma première vraie création, c’est Poil de Carotte. En collaboration avec le compositeur français Thierry Escaich, on a commencé à travailler dessus en 2015, mais il n’a été monté qu’en septembre 2016 à l’occasion du Festival du Temps d’aimer la danse. » Petit à petit, Fabio Lopez se fait un nom. Il quitte Biarritz pour Bayonne, dont il devient artiste associé via la plateforme chorégraphique OLDEAK. « Depuis deux ans, explique-t-il, j’essaie de fidéliser les intermittents avec lesquels je travaille, afin avec le temps de stabiliser ma compagnie. C’est tellement compliqué quand on est danseur de pouvoir s’essayer à différentes écritures chorégraphiques. On doit passer de contrat en contrat. C’est pour cela que j’ai décidé cette année de faire d’Illicite, une compagnie de répertoire. C’est-à-dire que j’invite d’autres chorégraphes à travailler avec nous, soit en reprenant des pièces déjà existantes, soit en en créant de nouvelles. »

Exit, un programme en 4 parties

AFF EXIT A3 PARIS WEB_@loeildoliv

Tout en continuant à développer sa compagnie, actuellement composée de cinq danseurs, le jeune homme collabore comme chorégraphe invité avec le CNDSMDP dans le cadre des jeunes ballets. « Chaque année, raconte-t-il, des intervenants extérieurs, deux en classique et deux en contemporain sont conviés à proposer aux élèves de dernières années de monter soit une création de leur cru soit une reprise. C’est à but pédagogique afin de les habituer à travailler autrement, à aller vers des mouvements des formes chorégraphiques différentes de ce à quoi ils sont habitués. Depuis octobre, j’apprends à 4 danseurs les pas de mon Molto Sostenuto. » Très strict, très rigoureux, refusant la moindre fantaisie dans la grammaire qu’il a construite, il se considère lui-même avec amusement comme un tyran. En parallèle, il travaille à de nouvelles créations qui seront montées à Lisbonne et Genève courant 2018. Mais pour Fabio Lopez et sa jeune compagnie, l’actualité s’est la présentation de son tout dernier projet Exit, ce samedi à l’Apollo théâtre. Le programme se compose de 4 pièces. La première, Entre deux, est une variation de Thierry Malandain jamais jouée en France. La deuxième, Gravity 0°, est un solo de Jean-Philippe Dury sur une composition de Teresa Catalán, une musicienne basque primée en 2017. La troisième, Fabulous failure, est une création d’Iker Arue mêlant Aïkido et danse contemporaine. Enfin, la dernière est une reprise de Molto Sostenuto de Fabio Lopez. Ce ballet composite est à découvrir à 20h30 ce samedi 3 février.

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Crédit photos © Vincent Brisson © David Herrero, © Regard en coin / Stéphane bellocq & © Polina Jourdain-Kobycheva

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