L’esprit divague, se perd. Il cherche en ses méandres, l’espoir avorté d’un amour possible, d’une passion dévorante. Se réappropriant, 17 ans plus tard, le monologue intérieur poétique, psychotique de Serge Valletti, Catherine Marnas nous invite, en compagnie de la vibrante et habitée Martine Thinières, à un voyage saisissant, émouvant au cœur de la folie douce. Un seul en scène intense.
Sur une scène vide, dans un décor minimaliste, facilement transportable par les routes, entourée de 5 mannequins portant des robes de mariées immaculées, une femme (troublante Martine Thinières), perruque rose, robe de plastique, est assise par terre. Elle semble se parler à elle-même, se convaincre de quelque chose. Dans un silence pesant, sa voix légèrement chevrotante, fragilit part de son morne quotidien, de ses longues heures passées derrière les fenêtres de son salon à observer les gens dans la rue. Elle s’intéresse tout particulièrement à un homme, le sosie de Jean-Louis Maclaren, celui qui dans ses souvenirs de jeunesse, lui faisait des « caresses suggestives », qu’elle recevait avec un plaisir indicible et dont elle espérait secrètement que jamais ne s’arrêtent.
Laissant aller ses pensées, sans retenue, sans filtre, elle se dévoile femme enfant, fille facile à l’esprit éparpillé, quarantenaire en mal de tendresse, d’amour. Elle nous entraîne sur sa carte du Tendre, accepte de baisser la garde, de faire tomber le masque pour se livrer sans pudeur, sans complexe. Tour à tour, enjouée ou fataliste, bienheureuse ou résignée, elle s’abandonne et rêve sans espérance à cette ultime histoire achoppée qui fait battre son cœur, palpiter son corps.
S’appuyant sur la musicalité du texte noir, poétique de Serge Valletti et sur le jeu intense de sa comédienne, Catherine Marnas sculpte avec délicatesse l’histoire d’une vie. Elle lui donne toutes les couleurs, les nuances. Elle laisse transparaître une existence blessée, estropiée, écorchée, celle de Maryse qui rêve toujours et encore d’être enlevée, chavirée, possédée par le prince charmant qui toujours se dégonfle, s’enfuie sans chercher à la connaître, à la comprendre.
Est-elle simplette, bipolaire ou schizophrène ? Est-elle petite fille prisonnière d’un corps de femme vieillissante ? Aucune importance. Si les mots de Valletti donnent des pistes, ils laissent nos esprits imaginés, inventés derrière les non-dits, les faux-semblants. Avec virtuosité, gourmandise, la comédienne donne vie à ce texte vibrant. Elle nous immerge dans le monde intérieur de Maryse. Avec peu d’accessoires, juste ses intonations, ses expressions, elle crée les univers dans lequel évolue son personnage.
Si l’on veut chipoter, quelques flottements, inhérents à la densité du propos, égarent légèrement notre attention, mais ce n’est que détails, broutilles, tant la performance de Martine Thinières est intense, poignante,captivante. Un seul-en-scène de tréteau parfaitement ciselé qui donne à une vie somme toute pathétique des accents de féerie, de beauté crue… Bouleversant !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Bordeaux
Mary’s à minuit de Serge Valletti – © éditions L’Atalante (2004)
TnBA – Studio Création
3, Place Pierre Renaudel
33800 Bordeaux
jusqu’au 9 février 2018
du mardi au vendredi à 20h & le samedi à 19h
Durée estimée 1h
Mise en scène de Catherine Marnas
Avec Martine Thinières
Son de Madame Miniature
Scénographie de Carlos Calvo
Crédit photos © Frédéric Desmesures