Au pied d’un petit immeuble de banlieue, des habitants esseulés heurtent leur solitude, trimbalent leur mal-être dans une quête dérisoire d’un espoir vain. Avec finesse et mélancolie, Jean Bellorini adapte la farce mortifère d’Hanokh Levin et signe un spectacle drôle et bouleversant superbement porté par la troupe virtuose du Théâtre Alexandrinski. Un ballet scénique triste et burlesque.
Dans un décor imaginé par Mikhaïl Koukouchkine et Jean Bellorini, qui ressemble étrangement à celui de l’Académie des 9, jeu qui a fait les beaux jours du petit écran dans les années 80, une dizaine d’âmes coule une vie monotone faite de petits plaisirs sans joie. Chaque case, chaque alvéole de cette étonnante construction, de cet immeuble miteux, abrite un appartement, une famille. Tous se connaissent, se croisent, s’épient. Rien n’a changé depuis des lustres, quand Kroum (étonnant Vitali Kovalenko), le fils prodige, porteur de l’espoir de tout un quartier, revient au pays. Dans ses bagages, rien, pas d’épouse, pas de travail, pas d’argent. Cet intermède hors des murs noirs de son enfance n’a pas eu l’effet escompté. Il se retrouve au même point qu’avant son départ. Tout comme ses voisins, il n’a pas évolué, juste un peu plus cynique, un peu moins joyeux. Ainsi, va la vie dans l’œuvre désespérée d’Hanokh Levin, l’humour y est noir, la quête du bonheur y est vaine.
Totalement exalté par la troupe du Théâtre Alexandrinski de Saint-Petersbourg, Jean Bellorini s’empare de la farce tragique, poétique du dramaturge israélien, pour en souligner la beauté âpre, la mélancolie lancinante, la tragédie burlesque. Sans fioriture, avec une finesse parfaitement ciselée, tel un chef d’orchestre virtuose, il travaille le texte comme une partition mêlant habilement drame et comédie amère nous entraînant au plus prés de ces vies embourbées dans une misère sociale où aucune échappatoire ne semble possible. Par touches délicates, il esquisse ces existences meurtries, ces âmes blessées, il scrute avec avidité sur leur visage, la moindre émotion, la plus petite joie rendant ces êtres « ectoplasmiques » à la dérive terriblement humains.
Les notes de musique jouées en live au piano s’égrènent joliment et accompagnent le jeu habité de la troupe excellentissime du théâtre alexandrinski, accentuant subtilement les regards plein d’amour, les espoirs fugaces rapidement envolés, les mots d’humour salvateurs. Totalement conquis par ce spectacle où les rires et les larmes se mêlent, par cette tragi-comédie douce-amère, on se laisse emporter par la langue slave et ce ballet d’âmes vibrantes enfermées dans des vies de galère. Bravo !
Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Kroom, l’ectoplasme de Hanokh Levin
spectacle en russe, surtitré en français
Théâtre Gérard Philipe – Salle Roger Blin
59 Boulevard Jules Guesde
93200 Saint-Denis
jusqu’au 28 janvier 2018
du lundi au samedi à 20h & le dimanche à 15h30
Relâche le mardi
Durée : 1h45
Mise en scène de Jean Bellorini assisté de Macha Zonina
Avec la troupe du Théâtre Alexandrinski (Saint-Pétersbourg) : Vasilissa Alexéeva, Dmitri Belov, Ivan Efremov, Maria Kouznetsova, Vitali Kovalenko, Vladimir Lissetski, Alexandr Luchin, Dmitri Lyssenkov, Sergey Mardar, Yulia Martchenko, Marina Roslova, Olessia Sokolova et le musicien Michalis Boliakis
Collaboration artistique Mathieu Coblentz
Scénographie de Mikhaïl Koukouchkine & Jean Bellorini
Costumes d’Olga Ouskova et Macha Makeïeff
Traduction russe de Marc Sorsky
Traduction française de Laurence Sendrowicz
Création à Saint-Pétersbourg vendredi 8 et samedi 9 décembre 2017 au Théâtre national académique Pouchkine dit Théâtre Alexandrinski.
Entrée au répertoire.
Coproduction : ADN – L’art des nations, direction Patrick Sommier
Théâtre Alexandrinski, direction artistique Valéry Fokine. Nouvelle scène-direction Igor Troïline
Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis
La Criée – Théâtre national de Marseille
Crédit photos © Pascal Victor / Artcom Press