Vives, sombres, les couleurs dansent sur les murs blancs du centre Pompidou. D’un tableau à l’autre, les formes, les techniques évoluent à un rythme effréné. Jamais satisfait, toujours en recherche d’autres mouvances picturales, Derain est un génie inclassable, mal connu, brisé par la Grande Guerre. La rétrospective qui est consacrée à ses œuvres de jeunesse lui rend magnifiquement hommage.
Il y a des peintres dont le nom est certes familier, mais qui ne fait écho qu’à de vagues souvenirs. André Derain fait partie de cette catégorie d’artistes de talent qui ont créé des mouvements, lancé des modes picturales, mais qui se sont fait voler la vedette. Ainsi, considéré comme l’un des pères fondateurs du fauvisme, il reste dans l’ombre de Matisse et Vlaminck. Et cette impression étrange d’être longtemps passé à côté de toiles majeures, de tableaux précurseurs de chefs d’œuvre, perdure tout au long de cette plongée dans la jeunesse de ce peintre radical qui à l’aube du XXe siècle évolue en quelques années du réalisme au cubisme, en passant par l’impressionnisme avant de s’engager vers des formes beaucoup moins novatrices avec un retour à une forme de classicisme renouvelé.
Ainsi, aux détours d’une cloison, il est frappant de voir apparaître en filigrane des toiles signées Derain, les couleurs vives, les formes primitives de Gauguin, les traits pointillistes de Seurat, les ocres de Cézanne, les aquarelles minimalistes et sexuées de Rodin, les impressions de Monet, les rugissements picturaux de Matisse ainsi que les formes cubiques de Picasso. Si les œuvres, les styles, sont indéniables proches, des petits riens, une volonté farouche de réalisme, de livrer sur la toile son regard sur le monde, permettent au fil des salles de mieux appréhender la substantifique moelle du travail singulier et changeant de Derain, de comprendre comment la photographie a pu influencer son art.
Au-delà de sa maîtrise captivante du pinceau, l’artiste nous entraîne dans un tourbillon furieux de couleurs et de formes qui souligne l’instabilité caractéristique de son œuvre, liée à ses déménagements successifs, comme si chaque lieu imprimait à son esprit créatif un style différent. Mais, c’est bien plus que cela qui fascine chez Derain, qui envoûte. Dès que l’on pénètre dans les premières salles de cette impressionnante et passionnante rétrospective, imaginée par Cécile Debray, nouvelle directrice du Musée de l’Orangerie, on est saisi par les ensorcelantes formes serpentines de ses danseuses, les ardentes et exaltées teintes de sa palette qui vont du léger pastel au cru le plus primitif.
Plus on avance vers le dénouement de cette décennie radicale, plus son œuvre s’assombrit. Ses portraits perdent en éclats, montrant des visages tristes où la mélancolie transparaît, où les gris, les couleurs sombres dominent. La Grande Guerre, la mobilisation ont eu raison de sa fougue créatrice pour céder la place à un travail moins flamboyant, plus affecté, que l’on a pu voir au Musée d’art moderne de la ville de Paris à l’occasion de l’exposition consacrée à l’amitié artistique entre Derain, Balthus et Giacometti.
Dépasser vos préjugés, vos a prioris, foncez au Centre Pompidou et laissez vous subjuguer par l’œuvre de jeunesse de Derain. Sublime !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
André Derain 1904 – 1914. La décennie radicale
Centre Pompidou – Galerie 2
Place Georges-Pompidou
75004 Paris
jusqu’au 29 janvier 2018
ouvert les lundis, mercredis, vendredis, samedis et dimanches de 11h à 21h et le jeudi de 11h à 23h
prix : 13 euros