Sans aucune illusion, avec un naturel désarmant, onze comédiens, tous handicapés mentaux, s’exposent au regard des autres, se libèrent du quand dira-t-on. Guidés par Jérôme Bel qui puise, dans leur différence, l’essence de ce spectacle hors-norme, ils nous offrent une magnifique leçon d’humanité, une ode à la vie et à la diversité. Magnifique.
Sur une scène nue, onze chaises des plus basiques ont été installées en arc de cercle. Côté cour, une jeune femme (Simone Truong) rejoint une console de mixage. De sa douce voix, elle présente l’étonnant projet, qui va nous être présenté, né de la rencontre entre Jérôme Bel et les comédiens si étonnants, si lumineux du théâtre Hora de Zurich. S’affranchissant de toute règle, le chorégraphe montpelliérain puise dans les corps, les différences de ses interprètes pour en extraire l’essence même de son travail. Avec simplicité, tendresse, il force ses onze comédiens, quatre filles et sept garçons âgés de 25 à 47 ans, tous atteints de déficiences mentales, à dévoiler sur scène leur individualité, leur tempérament, leur particularité.
Tout naturellement, le spectacle commence par l’exposition de chacun, une minute durant, au regard des spectateurs. Si cette mise en lumière de leur handicap déroute, dérange, très vite, la première gêne passée tant sur scène que dans la salle, c’est un peu d’eux-mêmes, de leur personnalité qui apparaît. Dépassant nos préjugés, on se laisse transporter par leur lumineuse humanité. La timidité de l’un, la fanfaronnerie de l’autre, nous charme, nous amuse et nous fait très vite oublier leur singularité pour ne laisser place qu’à leur interprétation. C’est d’ailleurs la volonté de Jérôme Bel dans une deuxième partie où chaque comédien quitte l’anonymat pour se présenter, expliquer avec beaucoup d’autodérision son handicap, avant de donner sa profession. Tous sont comédiens. Ainsi, avec simplicité toute naturelle, il nous oblige à aller au-delà des apparences et ne voir l’artiste qui est en eux.
Après ce prologue dérangeant qui nous questionne sur nos propres relations à l’autre et à la différence, le chorégraphe pousse encore un peu plus notre capacité à outrepasser nos aprioris et offre à ses comédiens une carte blanche, où chacun l’un après l’autre, va sur une musique de son choix présenter quelques pas de danse de son cru. Se libérant de toutes inhibitions, ils laissent leur corps être transportés par le rythme. De Michael Jackson à Mylène Farmer, en passant par un remix du Lac du Connemara de Michel Sardou, ils lâchent prise, laissent leur esprit créatif s’exprimer avant de nous entraîner dans cet artistique et généreux exutoire.
Transcendé par ce « freaks show » -c’est ainsi que les comédiens définissent eux-mêmes ce spectacle – salvateur et troublant, ainsi que la belle complicité qui unit les membres du théâtre Hora, le public est totalement transporté, se dandinant et applaudissant en rythme. Refusant d’être dans l’ombre, nos onze artistes handicapés mentaux cassent les codes de la bienséance, se débarrassent de toutes contraintes et signent une ode bouleversante à la différence qui nous redonne foi en une humanité bienveillante.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Disabled Theatrer
Théâtre de la Ville –Espace Pierre Cardin
1, avenue Gabriel
75008 Paris
jusqu’au 6 novembre 2017
concept de Jérôme Bel
assistante & traduction : Simone Truong
dramaturgie de Marcel Bugiel
avec Noha Badir, Remo Beuggert, Gianni Blumer, Demian Bright, Matthias Brücker, Nikolai Gralak, Matthias Grandjean, Julia Häusermann, Sara Hess, Tiziana Pagliaro, Remo Zarantonello
Crédit photos © Hugo Glendinning