Un mot, un geste, un regard, et c’est un souvenir, depuis longtemps occulté, qui ressurgit des tréfonds de notre mémoire. En plongeant dans les méandres de notre cerveau, sa capacité à s’adapter, à évoluer au cours du temps, Léonore Confino signe une pièce singulière, une aventure intérieure des plus passionnantes que la mise en scène vive de Catherine Schaub vient habilement souligner. Brillant !
Dans un espace gris, nu, une jeune femme blonde, accorte, en robe blanche, attend sur un brancard. Le regard dans le vague, elle semble perdue dans ses pensées. Auteure de pièces de théâtre reconnue, Camille (éblouissante Bénédicte Choisnet), âgée de 34 ans, est en proie au doute. Alors qu’elle travaille sur le sujet de sa prochaine pièce – le cerveau – , aidée par le neurochirurgien Youri Lozek (singulier Yvon Martin) et ses surprenants écrits, d’étonnantes visions viennent perturber son quotidien sans histoire de mère de famille. En décidant de s’intéresser au fonctionnement de l’organe le plus complexe de l’être humain, elle ne se doutait pas qu’elle plongerait au cœur d’une aventure singulière et extraordinaire qui chamboulerait sa vie en rouvrant de vieilles blessures émotionnelles depuis longtemps enfouies.
Face aux interrogations de la jeune femme, à ses doutes, ses angoisses, son ami et metteur en scène Farid Hamadi (remarquable Denis Sebbah) tente avec plus au moins de succès de rassurer Jean-Michel Grach (admirable Bruno Cadillon), l’élu de la culture qui a accepté les yeux fermés d’héberger en résidence la dramaturge et sa troupe pour l’élaboration de son nouveau spectacle. Si quelques petits arrangements avec la vérité, permettent de rassurer l’édile, très vite, cette quête fascinante, inquiétante, au cœur du cerveau humain, va réveiller de vieux démons et confronter chacun des protagonistes à ses propres problèmes, ses propres peurs qu’une étrange femme (incroyable Tessa Volkine) à l’aspect repoussant, dégoûtant, personnifie.
Entremêlant étroitement fiction surréaliste et histoire intime, Léonore Confino nous entraîne dans son univers singulier et nous emporte dans un tourbillon émotionnel qui touche en plein cœur. Son écriture vive, ciselée, son ton décalé se prêtent parfaitement à ce conte moderne, à cette aventure intérieure entre science pure et songe fantastique, que la musique de Thomas Bellorini jouée en live par Edouard Demanche ponctue adroitement. Plongeant à son corps défendant, dans ses propres souvenirs, même les plus douloureux, les plus noirs, et dans ceux de sa troupe, elle signe une pièce forte, bouleversante, qui ne laisse personne indemne. Poussant les spectateurs dans leurs derniers retranchements, elle réveille nos consciences et nous invite à une (re)découverte originale et captivante d’un de nos organes les plus mystérieux, que la mise en scène ultra contemporaine de Catherine Schaub et les lumières ingénieuses de Thierry Morin souligne avec une rare élégance.
Pris dans les filets parfaitement cousus par Léonore Confino de cette introspection très personnelle, on se laisse saisir sans aucune retenue dans ce voyage en pays inconnu, guidé par des comédiens virtuoses. Autour de Bénédicte Choisnet qui irradie littéralement de sa présence lumineuse la scène, tous nous entraînent au plus près d’émotions tellement palpables, tellement tangibles qu’on se laisse emporter par un flot torrentiel de sentiments contraires et puissants. Si tous excellent, Tessa Volkine qui hante le plateau en hardes sales et en minauderies toutes fielleuses, mielleuses, est extraordinaire.
Une nouvelle fois, le duo Léonore Confino et Catherine Schaub signe un spectacle hors norme, une fable moderne qui séduit et touche à l’âme. Leur complicité, la synergie qui les unit, font mouche et nous entraînent dans un conte humain où chacun se libère de ses démons et révèle son identité la plus intime. Un moment de théâtre bouleversant !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
1300 grammes de Léonore Confino
Créé à la grande scène du Chesnay
en tournée en région parisienne voir la programmation sur le site de la production du sillon
Reprise jusqu’au 3 mars 2019 au Théâtre 13 / Seine
Mise en scène de Catherine Schaub assistée d’Agnès Harel
Avec Bénédicte Choisnet, Bruno Cadillon, Yvon Martin, Denis Sebbah, Tessa Volkine & Edouard Demanche
Scénographie et costumes d’Anne Lezervant
Lumières de Thierry Morin
Vidéos de Mathias Delfau
Musique de Thomas Bellorini
Régie son d’Allan Hové
Régie générale : Thierry Morin
Coproduction : La Grande Scène du Chesnay, le Théâtre des 2 rives de Charenton, l’Atrium de Chaville, La Lanterne de Rambouillet, ACTIF
Soutiens : Le Théâtre de Saint-Maur, la ville du Chesnay, l’Espace Michel Simon de Noisy le Grand, le Conseil départemental des Yvelines
Remerciements : Institut du Cerveau et de la Moelle épinière