Des mots qui se mêlent, des langues et des sonorités qui s’accordent, et c’est tout un monde enfoui, l’Espagne des Omeyades qui reprend vie. Plongeant dans l’histoire de Ziryab, figure emblématique de la musique arabo-andalouse, Daniel San Pedro nous invite à un voyage poétique, ensorcelant et intense qui bouleverse nos sens. L’histoire d’une vie qui défie le temps et l’espace. Éblouissant !
Alors que la touffeur règne en maîtresse dans les rues avignonnaises, il existe au détour d’une rue, au fond d’une impasse, une oasis où, le soir venu, il fait bon se retrouver autour d’un verre et profiter de la fraîcheur d’un des très rares jardins cachés derrière les remparts de la cité papale. Lieu envoûtant, mystérieux, propice aux songes, le bar Le Complot a ouvert exceptionnellement ses portes pour une soirée unique, un moment hors du temps, un voyage immobile sur les pas de Ziryab, le plus grand musicien arabe de tous les temps.
Dans cet îlot de verdure, un espace a été aménagé à la façon des patios andalous. Des rigoles pour faire couler de l’eau, des dizaines de bougies placées régulièrement, délimitent le banc de sable qui sert de scène. En arrière-plan, entourant le musicien M’hamed el Menjra, une femme (lumineuse Fatym Layachi) et un homme (ténébreux Daniel San Pedro), se tiennent face à face. Alors que les premières notes, tirées de quelques instruments à cordes, s’élèvent dans les airs, nos deux artistes mêlent leur voix, mélangent leurs langues, pour nous conter l’extraordinaire histoire d’un jeune perse devenu le fondateur de la musique andalouse.
Brillant, excellent dans de nombreux domaines artistiques, le jeune et pauvre Ziryab est remarqué par le Calife, engendrant la jalousie chez ses pairs. Prié de quitter Bagdad où il est menacé de prison et de mort, son talent faisant un peu trop d’ombre à ses maîtres, il erre des années durant dans les déserts d’Egypte et de Lybie. Partout où sa petite famille nomade s’installe, ses dons extraordinaires lui ouvrent les portes de la félicité. Petit à petit, sa réputation de musicien d’exception à la voix de velours croît et précède ses déplacements. Mais c’est sa rencontre avec l’émir omeyyade Abd ar-Rhaman II, qui changera à jamais son destin. Séduit par l’homme, ses multiples talents, ses connaissances infinies, son goût des belles choses, son savoir-vivre, le mécène lui laisse carte blanche pour faire de sa cour un joyau d’élégance et d’érudition. Pari réussi au-delà des espérances de ce souverain visionnaire, à travers les épiques, Ziryab a laissé son empreinte dans des domaines aussi variés que l’art de la table, la musique bien évidemment, mais aussi l’hygiène et la scolarité.
Puisant dans l’œuvre éponyme de Jesus Greus, ainsi que dans ses propres racines espagnoles, Daniel San Pedro signe une pièce poème, un spectacle d’une infinie délicatesse qui met nos sens en émoi. De sa voix douce, il nous entraîne dans une flânerie exotique et onirique au cœur d’un moyen-âge éclairé, où l’harmonie entre les peuples, les religions, était une réalité. Traversant les mers et les montagnes, nous amenant de l’Irak des califes à l’envoûtante Al-Andalus, il nous invite à partager avec la captivante Fatym Layachi le rêve éveillé d’un homme né au pays des mille et une nuit.
Charmé par les sonorités bouleversantes d’un luth, les notes déchirantes d’une flamenca ou les mélodies poignantes arrachées à d’une guitare électrique, fasciné par les présences scéniques de deux êtres habités par le légendaire Ziryab que l’éclairage tamisé des bougies magnifie, le public se laisse totalement enivré, chaviré par cette fable humaine, cette ode au vivre ensemble. Alors qu’il est déjà conquis par autant de beauté, d’intensité, des rangs des spectateurs, une voix veloutée, magnifiquement érayée, s’élève. Elle nous ensorcèle, nous saisit littéralement. C’est ainsi que la lumineuse Camélia Jordana conclut cette époustouflante et féerique soirée qui restera longtemps gravée dans nos mémoires.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Ziryab D’après Jesus Greus
Création à Casablanca le 08 mai 2017
Au festival d’Avignon au Bar Le Complot
Théâtre couvert de la Scène nationale de Châteauvallon
795 Chemin de Châteauvallon
CS 10118 – 83192 Ollioules
Du 9 au 10 novembre 2017 à 20H30
Durée 1H15
Mise en scène et adaptation Daniel San Pedro assisté de Martin Roch
Traduction en l’Arabe Roukaya Benjelloun
Avec Daniel San Pedro, Fatym Layachi et le musicien M’hamed el Menjra
Invitée mystère : Camélia Jordana
Scénographie d’Aurelie Maestre
Costumes Caroline de Vivaise
Lumières d’Alban Sauvé
Crédit photo © Juliette Parisot