Victime du désir changeant des hommes, Médée, la vengeresse assassine, revit sous la plume crue, lyrique de Laurent Gaudé. Mêlant cette figure mythique à d’autres divinités devenues monstres pour être femme, il signe un conte noir, féministe, un brûlot ardent contre le sexisme. Si l’on peut regretter la monotonie de ton, la présence habitée d’Emilie Faucheux finit par nous envoûter.
Dans la pénombre, une silhouette de femme apparaît. Bustier couleur chair moulant sa sa poitrine, jupe noire remontée dévoilant ses jambes, ballerines de danseuses aux pieds, elle attend, immobile offerte. Le haut du visage couvert de sang, elle scrute de son regard sombre, inquiétant l’assistance. Quelques notes stridentes arrachées douloureusement d’une contrebasse, rompent régulièrement le silence. Puis, c’est sa voix monocorde, lancinante qui résonne dans la petite salle tendue de draps noirs.
Elle c’est Médée-Kali, la mère infanticide, épouse délaissée de Jason, la danseuse hindoue dont le déhanché hypnotique fait chavirer le cœur des hommes, la vengeresse qui pétrifie d’un regard tous ceux qui osent l’approcher, la défier. Unis en un seul corps, ces trois êtres fantastiques, ces trois figures mythiques, donnent corps à une créature furieuse, rageuse, qui n’a de cesse que de se punir violemment, mortellement les actes de violence contre les femmes.
Loin d’une parole expiatoire, sa litanie envoûtante, son récit ensorcelant, sont là pour témoigner de ce qu’elle était, une jeune femme trop belle, trop désireuse d’être aimée, pour avoir droit au bonheur. Née dans la caste des intouchables, sur les bords du Gange, elle captive des foules entières par sa danse lascive. Rêvant d’ailleurs, elle fuit son pays, traverse les plaines, les mers, les montagnes. Arrivée en Colchide, la belle rencontre Jason, premier homme à pouvoir l’approcher sans périr. Elle lui offre son corps, sa vie, lui donne deux beaux enfants. Mère aimante, amoureuse trahie, elle tue dans un geste rageur, salvateur sa progéniture. Délaissée, honnie, Médée-Kali retourne sur les berges du fleuve qui l’ont vue naître pour un dernier rituel, un ultime sacrifice de celle qui a eu le tort d’être femme dans un monde d’hommes.
Se détachant du personnage de la légendaire et sombre meurtrière, Laurent Gaudé dresse le portrait d’une femme hors norme, d’une combattante qui défie les lois sexistes et le pouvoir des hommes. Belle à damner, elle refuse de renier ce qu’elle est. Assumant ses crimes au nom de l’amour, elle ne reculera devant rien pour affirmer sa féminité. Soulignant toute la poésie de cri vibrant, de cette parole d’outre-tombe, Emilie Faucheux s’empare du texte brûlant de sa voix rauque, intériorisée, parfois sépulcrale. De son jeu dépouillé, de son corps bandé comme un arc prêt à tirer d’assassines flèches, elle lui donne à peine vie. Et c’est peut-être dans ce dénuement total, dans cette absence affichée de mouvement, que l’éblouissante comédienne achoppe et perd une partie de son auditoire. Si certains seront subjugués par la crudité lyrique du texte et par la bouleversante prestation d’Emilie Faucheux, d’autres resteront en retrait admirant la performance scénique, mais sans jamais être totalement séduit. Un moment de théâtre singulier à découvrir pour se forger son propre ressenti.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Médée Kali de Laurent Gaudé
Festival d’Avignon le OFF
Présence Pasteur
13, rue du Pont Trouca
84000 Avignon
jusqu’au 30 juillet 2017
tous les jours à 22h00 relâches les 12, 19, 26 juillet 2017
Durée 1h00
Mise en scène d’Émilie Faucheux
avec Émilie Faucheux, Jean Waché, Jonathan Chaman
Crédit photos © Thomas Journot