Silhouette fluette, visage menu, Matila Malliarakis fait partie de ces comédiens inclassables à l’aura singulière, à la présence scénique lumineuse, qui construisent, touche par touche, une carrière hétéroclite et riche. Gay dans Hors les murs, homme du Moyen-âge pour le prochain film d’Eric Cherrière, il remonte sur son vélo, le temps du Festival d’Avignon, pour camper Jacques Anquetil.
Quelques jours avant son départ pour Avignon, loin de l’effervescence estivale de la Cité des papes, Matila Malliarakis prend le temps de partager un café en notre compagnie, à deux pas de la Seine, non loin de la Bastille. Habitué des lieux qu’il fréquentait assidument quand il venait au Jeune théâtre national, association qui suit, durant trois ans, les nouveaux diplômés du Conservatoire national supérieur d’Art dramatique (CNSAD) et de l’École supérieure d’art dramatique du Théâtre national de Strasbourg (TNS). Il en connaît toutes les bonnes adresses, tous les petits bars chaleureux. Voix grave, sourire angélique, le jeune homme, né aux pieds des Pyrénées, en 1986, non loin du village de Galey, dans l’Ariège, semble avoir connu mille vies, être riche de ses origines paneuropéennes.
Une éducation « beatnik »
Si son nom de famille, aux consonances méditerranéennes, vient de l’île grecque de Kassos d’où est originaire son père, si du sang breton, du côté maternel, coule dans ses veines, il tient son prénom d’un poète, romancier, mathématicien et ministre roumain, Matila Ghyka. Homme de sciences, humaniste, passionné d’art, ce descendant de la famille princière moldave est une référence pour les parents « baba cools » du jeune garçon. « A la maison, se souvient-il, nous avions plusieurs de ses livres. Je n’ai lu que son ouvrage intitulé Le Nombre D’Or. Préfacé par Paul Valéry, cet essai philosophique s’intéresse à l’harmonie des proportions dans l’architecture, mais également dans la littérature, la nature. À l’époque, nous vivions loin de la ville, en plein cœur des montagnes. J’ai très vite compris ce qui avait séduit mes parents dans ce texte, dans ce personnage, si peu connu en France. » Enfant timide, Matila Malliarakis est rapidement son propre maître. Adepte du libre-arbitre, ses parents ont souhaité que dès c’est cinq ans, il soit responsable de ses choix et qu’il assume les conséquences de toutes ses décisions, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. « Je n’avais aucune contrainte étant enfant, se remémore-t-il. A tort ou à raison, c’est comme cela que je me suis construit, dans un cocon aimant. Par ailleurs, mes parents étaient très férus de tout ce qui touchait à l’art. Ma mère, qui avait fait des études de sciences, a tout arrêté à 19 ans pour s’inscrire à l’école de comédiens de Jacques Lecoq. C’est d’elle que me vient le goût du spectacle. Je lui dois mes premiers émois théâtraux avec Tambours sur la digue d’Ariane Mouchkine et Je suis un saumon de Philippe Avron. Ce sont des souvenirs gravés. Je me sentais comme chez moi dans les théâtres. Et les spectacles qui y avaient lieu, réinventaient ces lieux d’échanges. Des lieux et des spectacles qui m’ont enseigné, entre autres, qu’il est nécessaire de nous rendre disponible à la poésie. Car on ne sait jamais d’avance où elle se niche. Quant à mon père, il m’a appris à apprécier le cinéma, notamment avec les films de Krzysztof Kieslowski. C’est un grand amoureux du 7ème art. » Bien qu’il n’aille que peu souvent au théâtre, lors, notamment des rares escapades de la famille à Paris, le virus est implanté. Il en est sûr : il veut jouer.
Les premiers cours
Ayant grandi au cœur des contreforts pyrénéens, le comédien en devenir a été tardivement scolarisé. Il avait 9 ans, la première fois où il a usé ses culottes sur les bancs d’une école. « On fréquentait peu de monde quand j’étais enfant, raconte-t-il. J’étais, du coup, très timide et peu sociable. Les rares camarades de mon âge, étaient les enfants de grands d’amis de mes parents qui vivaient au Pérou et qui venaient une fois l’an en France. Avec eux, on organisait souvent de petits spectacles pour nos familles. Afin de m’exprimer, d’aller vers les autres, j’ai tout de suite intégré les ateliers de théâtre proposés par mes professeurs. » Fin, gracile, le jeune garçon est très vite repéré pour remplacer un des rôles principaux du spectacle de fin d’année. « Je me suis fait totalement avoir, explique-t-il. Je voulais bien apprendre, mais pas monter sur scène. Je n’avais pas du tout réfléchi que si je jouais les doublures en permanence, je finirais par jouer à leur place. Ce fut une sensation étrange, intense. J’interprétais, il me semble, un clown du nom d’« accent circonflexe » dans une pièce burlesque sur l’orthographe. J’étais tellement concentré sur le fait de bien faire ce que j’avais à faire que j’en ai oublié mon appréhension à jouer devant un public. Avec le recul, cela me fait penser à ce que Louis Jouvet définit comme la désincarnation du comédien, qui, tellement, absorbé par ce qu’il fait, en oublie sa propre petite personne, ses propres petites peurs, pour donner son corps et son esprit au service de l’œuvre. » Fort de cette première expérience avec d’autres de ses camarades de classe, Matila Malliarakis crée une petite compagnie où poésie, sketchs et saynètes sont les principales activités.
À 17 ans, il quitte l’école pour intégrer le conservatoire à rayonnement régional de Toulouse où il suit les cours de Francis Azéma qui lui inculque, avec beaucoup de passion,les bases du métier. Hyperactif, curieux, le jeune comédien s’inscrit en parallèle au grenier théâtre et fait différents stages organisés par le Théâtre national de la ville rose. « C’est à cette période que j’ai commencé à recevoir mes premiers cachets, se souvient-il. J’ai rapidement fait la connaissance de Sophie Lemaître qui est devenue mon agent. Tout s’est enchaîné très vite. Apparitions télé, rôles au théâtre, ma carrière a démarré tranquillement. Du coup, je passais mon temps entre Paris et Toulouse. Au bout d’un an, J’ai décidé de « monter à la capitale », comme on dit. » Après avoir traîné quelque temps avec la compagnie Le Vélo Volé, entre deux tournages et deux pièces de théâtre, il effectue des stages à l’Ecole du jeu de Delphine Eliet. A 21 ans, en 2007, il entre au Conservatoire national supérieur d’Art dramatique de Paris. Diplômé en 2010, à 24 ans, il enchaîne les castings théâtre, télé et cinéma.
Entre cinéma et théâtre
Son physique juvénile, presque androgyne, sa silhouette fluette, son animalité féline, font sa force. Remarqué en 2011 par le réalisateur David Lambert, il rejoint Guillaume Gouix au générique du long-métrage, Hors les murs, qui raconte l’histoire passionnelle entre un pianiste et un bassiste. « Ce fut une aventure très formatrice, explique le jeune homme. J’ai pris le temps de comprendre comment travailler face à une caméra, chose que je n’avais jamais pris le temps de faire. Par ailleurs, avec Guillaume, on a participé activement au projet. Si David savait déjà ce qu’il voulait, il a toujours été ouvert à la discussion. On pouvait proposer des choses pour faire évoluer le film, sa dramaturgie. C’était passionnant. Suite à cette expérience, j’ai continué à tourner pour différents réalisateurs, mais c’est surtout au théâtre que je me suis épanoui. » Les années passent. Les rôles se suivent, mais rarement se ressemblent. De téléfilms en séries télévisées, de films en pièces, Matila Malliarakis construit sa carrière, montre l’étonnante et large palette de ses talents. Passant du théâtre classique au théâtre contemporain, il navigue et se fait un nom dans le monde du spectacle vivant.
C’est lors du tournage d’un court-métrage réalisé par Liliane Watbled-Guenoun, mère de Laurent Suire avec qui il a partagé l’affiche de 2009 à 2013 dans Le Mariage de Figaro, mis en scène par François Ha Van, qu’il retrouve Roland Guenoun, venu encourager sa femme. « On s’était croisés, il y a de cela un peu moins de 10 ans, explique-t-il, sans vraiment prendre le temps de faire connaissance. Entre deux prises, on a pris le temps de se parler. Après la journée pour laquelle j’étais engagé, je suis revenu le lendemain sur le lieu du tournage, j’avais oublié une chemise ». Certainement, un acte manqué. Le temps de prendre un café, le temps qu’une séquence se termine et Roland Guénoun lui propose de le rejoindre sur un projet qui lui tient à cœur : l’adaptation du livre Paul Fournel, Anquetil tout seul, la ressemblance entre Matila Malliarakis et le coureur cycliste étant tellement frappante. « C’était très drôle, se remémore-t-il avec humour. En 2012, j’avais volé l’ouvrage à mon père et afin de savoir de quoi il en retournait avant lui offrir – ce qui est bien la moindre des choses – , je l’avais lu. A l’époque, j’avais été marqué par la volonté de fer du sportif. L’idée d’en faire une pièce de théâtre m’a donc séduit tout de suite. Je ne savais pas trop comment cela serait possible, mais sans hésiter, j’ai rejoint l’aventure. Si très vite, l’idée d’un seul-en-scène a été écartée, il était évident que je passerais une grande partie du spectacle sur un vélo. Il a donc fallu que je m’entraîne pour pouvoir dire mon texte tout en pédalant, sans que l’on sente le moindre essoufflement dans ma voix. Ce fut intense. » Après plusieurs réunions de travail et une rencontre avec Paul Fournel, Roland a recruté Clémentine Lebocey pour incarner Janine, la femme d’Anquetil, et Stéphane Olivié-Bisson, pour jouer Raphaël Géminiani et tous les autres personnages masculins.
Anquetil, une personnalité hors du commun
Physiquement proche, visage taillé à la serpe, Matila Malliarakis se glisse avec une facilité confondante dans le peau du cycliste habitué des podiums et honni du grand public. « Sec, peu enclin aux confidences, tête de tuberculeux, Anquetil n’était vraiment pas aimé des aficionados de la petite reine, raconte le comédien. C’est justement son physique à la musculature fine qui m’a plu. Il ne ressemble pas du tout à ce à quoi on s’attend. Malingre, il est certainement le plus grand athlète de son temps. Je trouve cela vraiment intéressant d’interpréter un personnage qui va à l’encontre de nos sociétés tellement accrochées à l’apparence, à l’image. Alors qu’on aurait jamais misé sur lui, il remporte tout, chaque titre l’un après l’autre. »
Anquetil tout seul est une vraie gageure, pour faire adhérer un public plus enclin à s’enfermer dans un théâtre qu’à s’installer sur un bord de route pour voir passer la caravane du Tour de France. Le pari est réussi. « Je crois, souligne l’artiste, que l’écriture vivante de Paul Fournel est pour beaucoup dans l’intérêt du public. Même si Anquetil est assez antipathique, le fait que l’auteur se raconte à travers son histoire aide à le rendre attachant, presque touchant. En tout cas, on pose un regard différent sur cet athlète de haut vol. Complexe, véritable machine de guerre, il s’est servi du système, de la montée du libéralisme pour s’élever socialement et gagner beaucoup d’argent. Cassant les codes, s’affranchissant des règles, suivant sa propre morale, il s’est construit une légende d’homme intouchable. Sincère et généreux dans ses amitiés, dans ses amours, il est sans pitié quand il est sur son vélo. Il ne faut pas oublier qu’Anquetil, c’est, en fait, trois personnes, trois fortes têtes, trois rocs, trois manipulateurs de haut vol : Raphaël Géminiani, Janine et lui. C’est ce qui donne du corps et du sel à l’histoire de cet homme singulier derrière le mythe. »
Après avoir envoûté le Studio Hebertot, Matila Malliarakis investit, avec son vélo et ses comparses, tous les matins à 10h30, le théâtre Les 3 soleils, toute la durée du Festival d’Avignon OFF. Loin de se reposer, il sera tout le mois d’août en résidence pour la création de L’Avare mis en scène par Mario Gonzalez, qui sera joué à la rentrée théâtrale 2017, notamment au Théâtre 95 et à l’Avant-Seine de Colombes et en tournée. Puis il rejoindra Aurore Evain et toutes la compagnie La Subversive pour Le Favori de Madame de Villedieu au centre national d’art dramatique de Montluçon. En octobre, il rejoindra toute l’équipe de Ni dieux, ni maîtres, long métrage médiéval réalisé par Eric Cherrière. De nombreuses occasions de se laisser séduire, ensorceler par ce jeune comédien fougueux, vibrant et tellement passionné.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Crédit portrait © Céline Nieszawer / crédit photos © Léonard