Regard clair, visage taillé à la serpe, le ténébreux comédien-danseur, à l’affiche avignonnaise de la pièce Hommage à Satie écrite par Pierre Notte, a accepté, le temps d’un « Pac à l’eau » fort rafraîchissant, de revenir sur son parcours artistique atypique. Rencontre avec Kevin Mischel, la révélation masculine du film Divines de Houda Benyamina, couronné de la Caméra d’Or à Cannes en 2016.
La chaleur dans les rues de la cité papale est écrasante en cette fin d’après-midi. Devant le théâtre du Balcon où le jeune trentenaire se produit tous les soirs dans Night in white Satie de Pierre Notte, l’air qui fait voler les nombreuses affiches accrochées çà et là, réchauffe un peu plus l’atmosphère. L’attente est de courte durée. Au loin, une silhouette longiligne, musculeuse, apparaît. Démarche féline, sourire timide, un brin ravageur, le comédien-danseur s’approche. Tout en décontraction et amabilité, nous nous installons à la terrasse ombragée d’un café voisin. Après les banalités d’usage, nous entrons dans le vif du sujet : qui est donc Kevin Mischel ?
Le théâtre en première approche
Né en banlieue parisienne, à Chilly-Mazarin, rien ne prédestinait le jeune Essonnien à faire une carrière artistique. Passionné de boxe, il rêve de faire carrière dans ce sport de combat. « Je regardais les films de la série Rocky en boucle, se souvient-il, amusé. J’aimais beaucoup l’esprit qui se dégageait de cette activité, de cette pratique qui consiste à utiliser son corps. C’est très stratégique, il faut savoir se protéger des coups de l’adversaire, tout en cherchant à percer ses défenses. Il y a un vrai respect entre les combattants, c’est une chose assez rare. Je faisais aussi pas mal de foot, en parallèle. » Sportif accompli, corps sculpté, le jeune homme se dépense sans compter. C’est à 15 ans que le théâtre entre dans sa vie. « Ma sœur jumelle, se remémore-t-il, avait envie de prendre des cours dans une association de quartier située non loin de la maison familiale, mais ne voulait pas y aller seule. Elle m’a demandé de l’accompagner. J’ai hésité, mais j’avoue que j’étais curieux. J’ai pris une vraie claque. Venu, pour observer, j’ai fini par m’inscrire aux ateliers proposés. Finalement, elle a abandonné et j’ai continué dans cette voie. C’est d’ailleurs la première fois où je prenais des cours avec un professeur quelque soit l’art. » Rapidement, le comédien en herbe prend conscience de ce que le théâtre lui apporte. Travailleur acharné dès que son intérêt est stimulé, il répète sans cesse, s’amuse à jouer différents personnages à se glisser dans la peau de quelque quidam, du boulanger du coin par exemple, à s’imaginer être quelqu’un d’autre. Le système scolaire ne semble pas lui réussir, par contre, il est très assidu au cours de français, s’enthousiasme pour les classiques qu’il étudie, du Bourgeois Gentilhomme au Malade Imaginaire, en passant par Antigone.
Émerveillé par la flamme qui anime son père, un ancien des Beaux-Arts de Paris qui, des heures durant, s’enferme dans son atelier pour écrire, peindre et sculpter, Kevin Mischel cherche un moyen d’expression, une manière de libérer la sensibilité artistique qui sommeille en lui. « Dans ma famille, explique-t-il, il y a une vraie fibre artistique. Ma grande sœur a aussi fait les Beaux-Arts, elle est maintenant graphiste et dessinatrice. Je les voyais tous vibrer dans les domaines qu’ils affectionnaient. Du coup, j’ai cherché où je pourrais ressentir la même chose. La musique n’étant pas faite pour moi, je me suis épanoui dans le théâtre et dans la danse. »
La danse, un passe-temps amical, prégnant
En parallèle des cours de théâtre et du lycée, le jeune Kevin Mischel retrouve régulièrement dans une rue de son quartier, un ami d’enfance qui s’adonne au hip-hop et à la Breakdance. « A l’époque, comme aujourd’hui d’ailleurs, explique-t-il avec une nonchalance qui cache une volonté de fer, je n’avais pas de plan de carrière. Je me laissais guider par mes ressentis, mes envies. Je vivais au jour le jour. Du coup, après les cours, je prenais un vrai plaisir à rejoindre mon ami, on dansait pour le plaisir. Chacun proposait une phrase chorégraphique à laquelle l’autre répondait, et ainsi de suite. C’étaient des échanges corporels intenses, une autre façon de dialoguer.» Comme pour tout ce qu’il entreprend, le jeune homme ne fait pas les choses à moitié. Dès qu’il a un peu de temps, il se renseigne sur le hip-hop, il regarde des bandes videos pour mieux comprendre l’essence de ce mouvement. Par ailleurs, comme pour le théâtre, il s’entraîne sans relâche dans sa chambre, dans la rue. Il répète inlassablement les gestes, les enchaînements. Véritable autodidacte, il exprime avec son corps tous les sentiments qui l’animent. « Véritable exutoire,raconte-t-il, la danse est devenue indispensable à mon équilibre. Du coup, jusqu’à 19 ans, j’ai continué, en parallèle, à prendre des cours de comédie deux à trois fois par semaine. Puis, j’ai tout arrêté. J’ai commencé à vivre d’intérim et de petits boulots. »
Première scène, premier succès
Alors qu’il travaille pour gagner sa vie et que ses rêves de scène s’éloignent, une audition va changer sa vie. « Je m’étais résigné au fait que le théâtre et la danse n’étaient que des loisirs, se souvient-il. Et puis en 2009, il y a eu une audition pour Zoopsie Comedi, un spectacle de Dominique Boivin, où il revisitait avec l’aide de Christian Lacroix, un cabaret à la mode 1986, mon année de naissance. J’ai tenté le coup et j’ai été pris pour jouer le rôle d’un majordome bizarre, le second rôle de la pièce. C’était une expérience d’autant plus fabuleuse que je jouais un personnage étrange à la gestuelle particulière. C’était du théâtre dansé. Je devais lui donner une couleur singulière, adopter une démarche insolite.» Cette première intrusion sur scène a été le début de tout le reste. Devenu ami avec Dominique Boivin, il participe à plusieurs autres de ses créations. « Tout s’est enchaîné très vite, raconte Kevin Mischel, émerveillé. Je n’avais pas de plan de carrière, j’allais où le vent me poussait. J’ai ainsi travaillé avec Hiroaki umeda, un chorégraphe et plasticien japonais, puis avec Kader Attouqui dirige le Centre Chorégraphique National de La Rochelle. » Durant cinq ans, le jeune danseur est de tous les spectacles de ce dernier et notamment de The Roots, une pièce chorégraphique intense qui a très bonne presse.
Le cinéma en point de mire
Toujours en quête d’absolu, ce travailleur acharné continue à s’entraîner, à suivre des stages d’Actor studio. « Dès que j’avais du temps, explique-t-il, je m’inscrivais pour prendre des cours, surtout quand il y avait des intervenants américains. J’avais envie d’essayer autre chose, de tenter une approche plus cinématographique. Très vite, je me suis passionné pour la méthode Stanislawski et j’ai regardé les films de Marlon Brando, de James Dean, de Robert De Niro. J’étais avide de tout voir, tout décortiquer, de m’imprégner de leur façon de faire. Un des professeurs qui m’a inspiré, c’estJack Weltzer. Il a nourri mon appétit, m’a montré que grâce à cette méthode de l’Actor Studio, on pouvait tout jouer, tout exprimer. la corporalité est essentielle car il est important de savoir se déplacer dans l’espace, de jouer de manière physique quand on est face à la caméra.» Ainsi, peu à peu, Kevin Mischel s’éloigne de la danse pour se consacrer au cinéma. C’est sur ces entrefaites que le projet du film de Houda Benyamina, Divines, est arrivé. « J’ai été repéré lors d’un casting sauvage par Pierre-FrançoisCréancier, explique-t-il. J’ai rapidement fait des essais face à la réalisatrice, je devais notamment jouer dans l’un, l’énervement , et dans l’autre, la séduction. Même si je devais jouer un danseur, c’était du travail d’acteur. Ma performance l’a convaincue, elle m’a pris pour jouer le rôle de Djigui.» Commence alors pour le jeune homme des mois intensifs de travail. D’un côté, il apprend à se débarrasser de ses réflexes de danseur avec Houda Benyamina, de l’autre, il peaufine son personnage de figure montante du hip-hop, avec Nicolas Pauldes ballets de l’Opéra de Paris. « Ça a été très formateur, raconte-t-il. Houda m’a poussé dans mes retranchements. Pour elle, j’étais tout d’abord comédien. Je devais me servir de mon corps, mais pour exprimer des émotions en accord avec des dialogues, des situations, non seulement pour la beauté du mouvement. Elle voulait que j’oublie tout ce que j’avais fait avant. Je devais être « natif ». Elle m’a libéré et permis de voir plus loin. Ce film est arrivé au bon moment pour moi. J’étais arrivé au bout du chemin, en danse. Je venais de finir un cycle, j’avais rencontré et travaillé avec beaucoup de danseurs et de chorégraphes. J’avais juste envie d’autres choses. Et puis, mon corps n’était plus celui que j’avais dix ans plus tôt. Je me suis blessé, je devais le ménager. Le cinéma est donc arrivé à point nommé. » Comédien passionné, artiste entier, il aspire maintenant à faire ce qui l’émeut, le bouleverse, espérant toucher le public autrement que par la danse, le mouvement.
Retour sur les planches
Après le succès deDivineset sa prestation très remarquée, les propositions s’enchaînent pour le jeune homme, que ce soit au cinéma ou au théâtre. Après quelques dates au théâtre du Rond-Point à Paris. Kevin Mischelvient de poser ses valises à Avignon, le temps du festival OFF. Il est en effet à l’affiche du théâtre du Balcondans la pièce Hommage à Satie, imaginée par Pierre Notte. « C’est une aventure extraordinaire, explique-t-il. Pierre m’avait vu dans The Roots.Il cherchait pour une de ses créations, un comédien qui puisse se servir de son corps comme d’un outil, un messager d’émotions. Il m’a proposé d’intégrer l’équipe et j’ai accepté, car c’était avant tout du théâtre, et j’étais fasciné par la vision fine, poétique qu’il a sur les choses. La gestuelle que j’imprime à mon personnage est directement inspirée de l’esprit absurde de Satie. Mes mouvements sont, d’une certaine manière, les vecteurs de sa pensée. Ce qui est captivant avec Pierre, comme avec les autres metteurs en scène ou réalisateurs avec lesquels j’ai travaillé, c’est que tous refusent de rester dans une zone de confort et aiment tester de nouvelles choses.»
Un avenir cinématographique
Refusant de se reposer sur ses lauriers, Kevin Mischel va d’un projet à autre projet, porté par les rencontres qui jalonnent sa carrière. Avant de fouler les planches de la Cité des Papes, il sortait de plusieurs mois de tournage en compagnie de Sabrina Ouazani, sous la direction de Marc Fouchard. « Il a fallu que je me prépare physiquement durant plus de six mois, raconte-t-il, j’ai dû prendre six kilos de muscles en plus. Mais ça valait le coup, le rôle est magnifique. J’interprète un artiste torturé avec une grave fêlure qui l’oblige à tout arrêter, car il ne veut plus, il ne peut plus utiliser son corps. Il y a bien sûr des similitudes avec ma propre vie, des résonances, mais c’est un vrai rôle de composition, car il est très différent de moi dans le caractère, dans sa façon d’appréhender la vie.» En attendant 2018 pour la sortie de ce long-métrage et d’autres aventures cinématographiques en projet, on peut voir le charismatique comédien auprès de Catherine Deneuvedans la dernière campagne de publicité de la marque Louis Vuitton, mise en images par le célèbre photographe de mode Bruce Weber.
Propos recueillis par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore
Crédit portrait © Stéphanie Volpato / crédit photos © Julien Chauvet & © Thomas Bartel