C’est la confession brute, âpre, d’une descente aux enfers. C’est la voix ténue d’une mère de famille, incapable d’affronter la banalité du quotidien, le murmure d’une femme aimante qui conte une vie de désillusions. Avec pudeur et finesse, Elizabeth Mazev donne vie à cet être abîmé, détruit par l’alcool, que la plume sobre de Frédérique Keddari-Devisme a imaginé. Poignant !
Dans l’écrin de pierres blanches de la petite et simple chapelle du théâtre des Halles, Marthe (époustouflante Elizabeth Mazev) a posé ses valises, a installé ses quelques meubles, vestiges d’une vie de famille depuis longtemps disparue. Chevelure hirsute, regard hagard, l’étrange femme erre dans cet espace réduit. En robe de chambre et pyjama, elle semble totalement perdue. La bouche pâteuse, elle a du mal à déglutir, à parler. Quelques minutes passent dans un silence lourd, puis enfin sa parole se libère. D’un ton monocorde, elle raconte son histoire.
Rien d’extraordinaire bien sûr, Jeune fille, elle rencontre l’amour de sa vie. Très vite, ils s’installent ensemble et ont des enfants. Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Pourtant, une fêlure invisible empêche Marthe, c’est son prénom, d’être totalement heureuse. La vie l’angoisse. Les moindres petits tracas du quotidien deviennent insurmontables. Insidieusement, elle trouve dans l’alcool un moyen de calmer ses craintes, ses inquiétudes. Très vite, elle ne peut plus se passer de cet ami liquide qui lui permet de ne plus avoir peur d’être une mauvaise mère, une exécrable amante. Buvan bouteille après bouteille, passant de la vodka, au parfum, et même à l’alcool à 90°C, rien n’est trop bon, trop fort pour étancher cette soif inextinguible, ce besoin de ne pas être elle-même. Imbibée du matin au soir, s’enferrant dans une solitude qu’elle ne supporte qu’alcoolisée, elle ne voit même pas que sa vie de famille part en lambeaux, que ses enfants ne veulent plus la voir, que son mari ne l’aime plus.
Cette chute inexorable vers les abîmes est parfaitement dépeinte par l’écriture clinique, crue de Frédérique Keddari-Devisme. Loin de vouloir excuser ou comprendre l’alcoolisme de cette femme qui se noie dans les épreuves du quotidien, elle nous entraîne aux plus près de ce mal qui la ronge. Elle en décrit la singulière mécanique, l’infernal engrenage. On peut évidemment trouver que le texte, plus proche du registre médical que du récit d’une vie, manque de verve, de folie et d’émotion se perdant dans une sorte de complainte explicative. Mais, c’est aussi ce qui fait la force de cette confession, de cette litanie, qui offre la part belle au jeu tout en finesse de la comédienne tout juste aidée par la mise en scène sobre de l’auteure.
S’appropriant le rôle de cette femme désespérée, que les défaites et les renoncements ont brisée, Elizabeth Mazev donne profondeur et corps à son personnage. On ressent les moindres blessures, les plus petits troubles qui l’entraînent chaque jour un peu plus dans la maladie, la perte de soi. Bouleversante, émouvante, elle est Marthe dans sa chair, dans son âme. Un seul-en-scène glaçant, captivant !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
À 90 degrés de Frédérique Keddari-Devisme
Festival d’Avignon le Off
Théâtre des Halles
Rue du Roi René
84000 Avignon
jusqu’au 29 juillet 2017
tous les jours à 11h00 relâches les 10, 17, 24 juillet 2017
durée 1h10
Reprise Théâtre des Déchargeurs
3, rue des Déchargeurs
75001 Paris
Jusqu’au 22 septembre 2018
Du Mardi au Samedi à 21h30
durée 1H10
Mise en scène de Frédérique Keddari-Devisme
avec Elizabeth Mazev