Face aux fantômes de sa vie, qu’ils soient détracteurs ou louangeurs, un artiste se livre dans une confession introspective à la fois bouleversante et amère. De son écriture ciselée, précise, poétique, Pascal Rambert puise dans le cœur et l’âme de ce double créatif, de ce peintre hâbleur et pleutre, en quête d’identité, l’infime espoir de percevoir la substantifique moelle de l’art. Fascinant !
On entre dans le théâtre du Vieux-Colombier comme dans un studio de radio. Les murs noirs qui entourent la scène ont été recouverts de plaques anti-bruit de couleur blanche. Sur le devant du plateau, une immense table, couverte de micros, encombre l’espace, accessible uniquement par trois sas. Alors que la salle plonge dans l’obscurité, deux hommes s’aventurent dans ce surprenant décor. L’un (éblouissant Denis Podalydès), en jean, tenue décontractée, est un artiste-peintre de renom spécialisé dans le figuratif. L’autre (épatant Hervé Pierre), visage fermé, portant sous le bras plusieurs livres, est l’intervieweur Chacun se place. Les loupiotes rouges « on air » s’éclairent. L’émission peut commencer.
Après quelques échanges cordiaux, les questions deviennent plus incisives. Le dialogue se tend. Cherchant à comprendre les œuvres du peintre, les origines de son art, son processus créatif, l’animateur creuse dans la vie de ce dernier. Quittant le terrain pictural pour se pencher sur l’être, il force l’artiste à se livrer, à laisser apparaître ses fêlures et à abandonner la sphère publique pour celle de l’intime, du privé. Petit à petit, les barrières cèdent et libèrent la parole. Plongeant dans ses souvenirs, le peintre convoque autour de lui les fantômes de son passé.
Tout d’abord, sa mère (immense Cécile Brune), une femme castratrice, icône parmi les icônes ; puis sa muse (lumineuse Jennifer Decker), l’être fantasmé qui ne supporte pas la confrontation avec le réel ; son frère cadet et honni (troublant Alexandre Pavloff), celui qu’on aime détester, oublier ; son double-enfant, un garçon ou une fille dans le doute, encore naïf ,pur de toute perversion ; enfin l’ancien meilleur ami (étonnant Pierre-Louis Calixte), le tentateur diabolique, le metteur en abyme. Chacun de ces personnages vient tour à tour perturber l’interview, ôter les filtres de la cordialité pour qu’enfin, en clair-obscur, apparaisse le véritable visage du mystérieux artiste.
Scrutateur des consciences, des personnalités, Pascal Rambert se nourrit des comédiens pour qui il écrit. De sa plume élégante, raffinée, il brosse le portrait d’un homme en proie aux doutes, d’un artiste imbu de lui-même mais incapable de croire en son propre talent. S’interrogeant une nouvelle fois sur la nature humaine, sur le rapport amoureux, sur l’art et ses dérives, le fascinant dramaturge ensorcèle. Si parfois la partition s’enlise, patine, c’est pour mieux nous saisir. De sa patte lyrique, burlesque, il concocte un écrin de toute beauté pour les comédiens virtuoses du Français. De leur voix, de leur intense présence scénique, ils nous envoûtent et nous donnent en cadeau toute la profondeur de ce texte incisif, de cette langue poétique qui raconte une vie, des vies avec ingéniosité et gourmandise. Un moment de théâtre unique, fragile, à savourer au plus vite.
Une Vie de Pascal Rambert
Théâtre du Vieux-Colombier – Comédie-Française
21, Rue du Vieux Colombier
75006 Paris
jusqu’au 2 juillet 2017
les mardi à 19h, du mercredi au samedi à 20h30 et les dimanches à 15h
Durée 1h50
Mise en scène et scénographie de Pascal Rambert assisté de Maryse Estier
Avec Cécile Brune, Denis Podalydès, Alexandre Pavloff, Hervé Pierre, Pierre Louis-Calixte, Jennifer Decker et en alternance Anas Abidar , Nathan Aznar, Ambre Godin , Jeanne Louis-Calixte
Costumes de Anaïs Romand
Lumières de Yves Godin
Musique et sons de Alexandre Meyer
Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage