Brune, piquante, Cristiana Morganti, figure marquante du Tanztheater Wuppertal, se raconte sans fard dans un seul en scène clownesque entre danse et théâtre. Se libérant petit à petit de l’image tutélaire et omniprésente de Pina Bausch, elle se livre, avec beaucoup d’autodérision et malice à une introspection jouissive. Une madeleine de Proust acidulée et gourmande à déguster avec délice.
Dans une immense boîte noire, partagée entre ombre et lumière, une silhouette apparaît, silencieuse. Dos au public, elle exécute quelques pas, tombe, tourne et se relève. Hésitante à se montrer sous les feux des projecteurs, pas encore prête à quitter le cocon familier du Tanztheater Wuppertal et la figure tutélaire de Pina bausch, elle laisse s’échapper ses pensées grâce à une voix off qui résonne dans l’espace vide.
Seule sur scène, face à son double chimérique, un magnétophone répondant au doux nom de Jessica, en souvenir de l’amie imaginaire de son enfance, Cristiana Morganti, la cinquantaine radieuse, se raconte, se livre avec humour et facétie. Elle évoque son enfance, ses seins trop imposants pour une danseuse classique, qu’on lui oblige à contraindre par un soutient gorge aplatissant, son corps vieillissant où les douleurs s’installent, la rencontre avec Pina, ses vingt années sous la férule exigeante, bienveillante de la grande chorégraphe. Dans un autoportrait plein d’autodérision, elle n’oublie pas à tordre le cou aux fausses rumeurs, aux médisances.
Sans fausse pudeur, sans restriction, la sculpturale italienne nous plonge dans son processus créatif, fait de contraintes, de doutes, d’anecdotes et de souvenirs. Puisant dans sa prolixe mémoire, laissant libre court à son imagination, elle se libère et vole de ses propres ailes. Evidemment dans ses gestes, ses mouvements, on retrouve la touche burlesque de son mentor. Loin de se laisser happer par cette dernière, elle la transcende, la réinvente pour créer son propre univers touchant, drôle et pittoresque.
Féminine jusqu’au bout des ongles, acceptant son corps tel qu’il est, cette femme flamme brille de mille feux, charme et ensorcelle son auditoire subjugué, hilare. Danseuse sans contexte, Cristiana Morganti dévoile bien d’autres talents une heure durant. Conteuse facétieuse, comédienne clownesque, elle quitte l’ombre de Pina Bausch et se révèle, en pleine lumière, être une chorégraphe pétillante, fascinante. Éblouissant !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Jessica and me de Cristiana Morganti
Théâtre des Abbesses – Théâtre de la Ville
31, rue des Abbesses
75018 Paris
jusqu’au 24 mai 2017
du mardi au samedi 20h30
durée 1h10
création, chorégraphie et interprétation : Cristiana Morganti
collaboration artistique : Gloria Paris
création lumières : Laurent P. Berger
vidéo : Connie Prantera
conseiller musical : Kenji Takagi
créateur son Bernd Kirchhoefer
Crédit photos © Claudia Kempf