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Les funambules, un hymne à la tolérance, à la différence

Né au lendemain des "Manifs pour tous", le collectif Les Funambules chante l'amour pluriel.

A quelques jours du dernier concert au studio Hébertot, Stéphane Corbin, père du collectif Les Funambules, nous a donné rendez-vous dans un café bohème du Marais. Accompagné d’un des cadets de la troupe, Doryan Ben, le compositeur-chanteur à la voix grave, au sourire ravageur, se penche sur cette aventure incroyable, ce grand cri d’amour né au lendemain des « manifs pour tous ». 

Stephane Corbin_9J1A9474_Funambules_©Lisa Lesourd_@loeildoliv

Enfant du nord, né dans un milieu enseignant, Stéphane Corbin, la quarantaine florissante, s’est, très jeune, enthousiasmé pour la musique. Passés les ennuyeux cours de solfège et de piano classiques, il peut s’adonner à sa passion, composer de nouvelles mélodies. De ce goût prononcé pour les notes, les clés de sol, et autres croches, qu’elles soient blanches ou noires, le jeune homme en fait son métier. Fraîchement arrivé à Paris, il se fait un nom dans le théâtre musical. Chanteur, interprète, compositeur, il s’épanouit et ne cache plus son attirance pour les garçons. Homme de passion, il s’investit dans tout ce qu’il fait. Amoureux, il se construit un cocon. Puis, vient ce qui n’aurait dû être que joies et fêtes, la présentation à l’Assemblée, par Christiane Taubira, du texte de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. Très vite, le tableau s’obscurcit. Face aux déchaînements de haine, à la violence de certains propos, de certains actes, le jeune lillois s’interroge sur ce qu’il peut faire en tant qu’artiste pour répondre à ces attaques. Avec la collaboration de Doryan Ben, membre du collectif Les Funambules, et interprète sur la scène du Studio Hébertot depuis octobre dernier, de la plupart des chansons de l’album, il nous conte cette aventure humaine.

D’où est venue l’idée de créer Les Funambules ?

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Stéphane Corbin : Il y a quatre ans, comme beaucoup d’entre nous, que l’on soit homosexuel ou hétérosexuel, j’ai été très choqué par les violences verbales, physiques, qu’ont engendrées les manifestations contre le mariage pour tous. D’un coup, c’est comme si on rouvrait une boîte de Pandore que l’on pensait close depuis longtemps. Du jour au lendemain, quasiment, il y a eu une recrudescence des actes homophobes. La parole n’était plus retenue. L’homophobie latente, qui semblait étouffée, surtout dans les grandes villes, resurgissait avec une nouvelle légitimité, celle d’élus de la République.  Après le choc émotionnel résultant du spectacle, sur les chaînes de télévision, de familles entières, d’enfants, de bien singuliers porte-paroles, distiller la haine, nous traiter de sous-citoyens, j’ai décidé de réagir, d’utiliser mes maigres moyens pour montrer ce que l’on était, des membres de la société, qui payent des impôts, participent à la vie commune la seule différence étant notre sexualité qui, d’ailleurs, fait partie du domaine privé et ne regarde personne à part ceux qui la vivent. C’est pour cela que je n’ai pas compris que ce débat suscite autant de violence et que j’ai voulu répondre. Très vite, l’idée est venue de faire ce que je fais de mieux, des chansons et de créer un collectif, puis un album. Très longtemps, j’ai milité auprès de nombreuses associations comme Aides, ou Le Refuge. Je me suis inspiré de mes jeunes années et j’ai ouvert mon carnet d’adresses, notamment dans le milieu de la comédie musicale que je fréquente et dans lequel je travaille depuis une quinzaine d’années maintenant.

Quel a été le point de départ de l’album ?

lesfunambules_decembre2016-Stephane Corbin _7_©Philippe Garo_@loeildoliv

Stéphane Corbin  : J’avais été très touché par le film de Sébastien Lifshitzles Invisibles. Du coup, j’aimais bien l’idée de faire une sorte de documentaire qui raconterait nos vies, nos histoires, de différents points de vue, dans des styles variés. Je rêvais d’un recueil de destinées homosexuelles, universelles et particulières, où tout un chacun pourrait se reconnaître. C’était d’autant plus important que nous manquions de références en la matière et que les seules que nous avions étaient datées. Comme ils disent de Charles Aznavour, par exemple, est une très belle chanson, mais de nos jours, elle a quelque chose de suranné, et par ailleurs, elle parle d’un sujet précis, le travestissement. Si l’on regarde dans l’anthologie de la chanson française, rien ne raconte nos vies, on doit extrapoler, se construire en se projetant dans des histoires hétérosexuelles. Du coup, mon objectif était de rendre compte de toute cette diversité, de tous ces points de vue, en montrant que, quelles que soient nos sexualités, on vit les mêmes choses. On aime, on quitte, on se fait larguer. On veut des enfants ou pas. Il y a des parents qui acceptent, d’autres, plus difficilement, ou pas du tout. L’ambition était finalement de dresser un panorama de l’homosexualité aujourd’hui, de notre quotidien, afin d’en finir avec les fantasmes, les idées préconçues et les images entretenues par les médias généralistes. Quand on parle d’homosexualité, la plupart du temps, on montre la « gay pride », des gens excentriques, silhouettes bodybuildées, torses nus. Ce sont des clichés qui font bien évidemment partie de la communauté homosexuelle, mais nous ne sommes pas que cela. Nous sommes avant tout communs, ordinaires. Avec les Funambules, je voulais qu’on raconte toutes ces vies, toutes ces diversités, et ainsi, être quasi-inattaquable. Sur scène, quand Vanessa Cailhol dit qu’elle a un oncle homosexuel « comme tout le monde », il était important que le public, les spectateurs de tous bords, de tous âges, puissent s’identifier, car on a tous un oncle, un ami de la famille homo. Avec cet album, mon souhait le plus cher était d’être utile, de servir de référence. Si un gamin vivant dans une région isolée, qui a 14-15 ans, découvre qu’il est attiré par les hommes et développe des tendances suicidaires de peur d’être rejeté – en France, la découverte de l’homosexualité est la deuxième cause de suicide chez les adolescents -,  se sent moins seul en écoutant le disque, le pari sera réussi.

Comment avez-vous fait pour recueillir autant de signatures, autant de talents ?

lesfunambules_decembre2016_Amelie Manet_©Philippe Guero-@loeildoliv

Stéphane Corbin : J’ai envoyé un mail à une vingtaine d’auteurs. J’en connaissais certains pour avoir travaillé avec eux. Pour d’autres, j’ai tenté ma chance grâce des amis communs, ou tout simplement, en envoyant un message à leurs agents. L’important pour moi, à ce moment-là, c’était d’avoir un très large « panel de plumes », comme on dit. Je souhaitais travailler autant avec des auteurs de chansons que de pièces de théâtre, comme Alexis Michalik ou Pierre Notte. Je ne leur ai donné, comme unique contrainte, que de parler d’homosexualité et d’amour, principalement. Pour le reste, la thématique, l’angle, le ton à donner, ils étaient entièrement libres. Je me suis ainsi retrouvé très rapidement avec près d’une cinquantaine de textes écrits par des hommes, des femmes, des adolescents, des personnes âgées, des homosexuels, des hétéros. A part 4 ou 5 chansons, j’ai tout gardé, tant il y avait de richesses, de points de vue passionnants, bouleversants. Par magie, tout s’est emboîté comme un puzzle géant. Alexis Michalik, brillant dramaturge, hétérosexuel, a écrit avec le talent qu’on lui connaît, six textes fabuleux dont Ça ne durera pasJ’ai rien demandé et le fameux Filles à PD. Ce qui est fascinant avec lui, c’est que toutes les personnes se reconnaissent. C’était important d’avoir son regard extérieur, le projet ne devait absolument pas être un ghetto. Il a d’ailleurs été l’un des plus rapides. Je lui ai envoyé un mail à minuit. Trente minutes plus tard, j’avais son premier texte dans ma boîte aux lettres. Je n’aurais jamais tenté cette fabuleuse aventure si mon frère ne m’avait pas écrit l’Aveu, en tout premier lieu. Il m’a motivé pour que j’aille plus loin et que je mène le projet à son terme. Le plus touchant dans cela, ce qui m’a profondément ému, c’est que mon père ait écrit quatre chansons dont une pour Annie Cordy qu’il écoutait, enfant.

D’où vient le nom Les Funambules ?

lesfunambules_decembre2016_Stephane Corbin et Doryan Ben_5)_©Philippe Garo_@loeildoliv

Stéphane Corbin : C’est une des nombreuses idées qu’on a, suite à un intense « brainstorming » avec Gaétan Borg, l’un de mes complices sur ce projet. Il a suivi toutes les étapes de l’aventure. Quand on a commencé à démarcher les artistes, les auteurs, il nous fallait un nom. On ne voulait pas que l’homosexualité soit clairement présente. Il fallait que cela soit plus vaste pour ne pas enfermer l’ensemble dans une case, une caste, une communauté et surtout, il fallait que cela sonne aussi bien pour un nom de collectif que pour un album.

Doryan Ben :  L’homosexualité n’est finalement pas le sujet principal de l’aventure, de l’album, même si elle est omniprésente. Ce sont des sujets universels. Ce n’est pas limité dans le temps, dans l’espace, dans une communauté. Le projet va bien plus loin. Cela doit toucher tout le monde. Et notamment, on le voit quand, après les concerts, on discute avec les spectateurs, beaucoup d’hétéros se reconnaissent aussi dans les textes. Les funambules, c’est vraiment parlant, c’est plus large. En tout cas, c’est ce que je ressens de mon point de vue extérieur à la genèse de cette aventure.

Stéphane Corbin :  C’est tout à fait cela. Ce qui nous intéressait avant tout, c’est ce qui fonde l’humanité des gens, ce que l’on est véritable, tous, en tant qu’humains. Parce qu’à part notre sexualité qui nous différencie, homos et hétéros, nous sommes pareils. On a les mêmes questionnements, les mêmes problématiques. C’est juste plus compliqué, car tu dois vivre caché un moment, tu dois avouer les choses, tu dois apprendre à vivre dans un monde moins clément qui te rejette parfois, que ce soit à l’école quand tu es petit, ou plus tard, au travail. A part cela, nos chansons sont aussi bien applicables à une vie hétérosexuelle, de la même manière. C’était toute l’importance du projet, dire qu’on est pareil. C’est un peu simpliste bien sûr, mais c’est le sens de toute cette aventure, montrer à ceux qui finalement ne savent pas qui nous sommes, qu’on est comme eux. Par ailleurs, le nom Les Funambules, est aussi venu de la notion que la vie des homos n’est pas aussi facile, qu’il y a une part de danger à s’assumer. C’est ce que l’on dit dans la chanson éponyme d’ailleurs que l’on reprend en chœur en rappel : « A marcher sur des fils, combien seront tombés. » Je viens d’avoir 40 ans et je ne compte plus les fois où je me suis fait insulter, traiter de pédé, de tarlouze, de tapette, combien de fois j’ai failli me faire casser la gueule. Clairement, je fais attention. J’ai appris. Je n’embrasse pas mon compagnon n’importe où. Malgré les avancées, on continue à vivre libres dans un espace restreint. Le combat continue d’autant plus que la manif pour tous à ré-ouvert des plaies presque cicatrisées, à rallumer les braises d’une homophobie qu’ils pensaient voir s’éteindre.

Comment avez-vous recruté les artistes ?

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Stéphane Corbin :   D’un côté, il y a les gens de la Comédie musicale avec qui je travaille depuis 15 ans maintenant. C’est deux tiers, en gros, du « cast » original. Pour la plupart, je les connaissais. Quand je leur ai proposé le projet, dans leur majorité, ils m’ont dit oui dans la seconde. Cela a été plus compliqué pour les autres artistes, ceux qui ont un peu de notoriété. Evidemment, ceux qui sont sur l’album ont donné leur accord. Pour d’autres que je ne citerai évidemment pas, il était compliqué d’être associé à un tel projet. Pour certains, ils étaient d’accord sur le principe mais, c’est leur maison de disques qui a mis un veto. Dans certains cas, je t’avoue, on a été très surpris. C’est comme ça, c’est la vie. Pour Doryan, par exemple, le recrutement s’est fait naturellement. C’était un de mes élèves à l’ECM, une école de comédie musicale. J’avais repéré sa voix et ce petit truc en plus évident qu’on appelle le talent. Je lui ai proposé, il a dit oui sans se poser de questions. Mais ce qu’il faut retenir de cette aventure, c’est que tous ceux qui y participent l’ont fait avec enthousiasme, quelle que soit leur sexualité, leur origine, ou leur âge.

Justement, Doryan qu’avez-vous pensé du projet à l’origine ?

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Doryan Ben : Comme l’a dit Stéphane, j’étais un de ses élèves. Il m’a proposé de faire les chœurs sur plusieurs chansons. Au bout de la troisième fois où je suis venu enregistrer ma voix, il m’a proposé un duo avec Sonia AlvarezNos Silences, qui parle du lien mère – fils. L’idée m’a tout de suite séduit. L’histoire que racontait cette chanson m’a plu. Et puis c’était important pour moi à ce moment-là de rentrer dans le projet, car je me sentais et je me sens toujours funambule. Je venais d’entrer à l’ECM et j’avais envie d’être inclus dans ce projet qui avait une belle résonance en moi. En plus, c’était important de soutenir mon ami, Stéphane.

Stéphane, qu’en est- il des suites de l’aventure ?

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Stéphane Corbin :   C’est un projet bénévole, du coup, on travaille un peu au coup par coup. Pour les concerts en petite formation, on avait du coup pas d’autre choix que jouer le lundi, généralement jour de relâche dans les théâtres parisiens. Moi le premier, la semaine, je suis sur la scène du Studio des Champs-Elysées pour la comédie musicale 31. C’est un concours de circonstances qui fait que nous avons atterri au Studio Hébertot. Tout a commencé par la rencontre avec Sylvia Roux, la directrice du lieu. Elle était venue à quatre de nos concerts précédents et voulait s’investir dans le projet. Défenseuse des droits homo, « méga fille » à pédés, elle nous a proposé d’ouvrir exceptionnellement ses portes les lundis soirs pour accueillir nos petites formations.  Elle a tout fait pour que l’on soit bien. Et depuis le mois d’octobre, on investit régulièrement le lieu. Lundi prochain, c’est le dernier concert de la saison dans ce théâtre à la programmation riche et éclectique. Pour ceux qui ne  nous auraient pas vus ou qui voudraient soutenir le refuge ou les autres associations à qui nous reversons toutes les recettes, nous préparons actuellement un concert avec une cinquantaine d’artistes à l’Alhambra le 12 juin prochain. Sinon, rien n’est encore perdu, pour ceux qui ne pourraient pas. Nous revenons à la rentrée prochaine au Studio Hebertot, pour de nouveaux concerts théâtralisés par Quentin Defalt. Grâce à lui, nous donnons vie aux chansons, cela permet aux gens de mieux s’identifier. Ce sont des vrais moments d’émotions. Et sinon, l’album est toujours disponible sur les plateformes de téléchargement et streaming. Par ailleurs, il existe un coffret incluant 2 disques avec les 42 chansons et un DVD incluant la captation du concert au Théâtre 13 l’an passé, et un documentaire qui raconte à travers une quarantaine d’interviews la genèse du projet.

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Crédit portrait © Lisa Lesourd / Crédit photos © Philippe Garo, ©Damien Richard & © Anthony Klein

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