Une nouvelle fois, Sandrine Molaro et Gilles-Vincent Kapps surprennent et envoûtent. Après avoir « décorsetée » Madame Bovary l’an dernier, ils s’attaquent avec délicatesse et poésie à un autre chef d’œuvre de la littérature française, L’écume des jours. Portée par un jeune trio de talentueux comédiens, leur dernière création est un enchantement jazzy qui insuffle la vie aux mots de Vian. Magique.
Adapter le conte fantastique et absurde de Boris Vian au théâtre est une gageure que relève haut la main Sandrine Molaro et Gilles-Vincent Kapps. Afin de garder tout l’onirisme du texte, tout son univers déroutant, imaginaire, le duo d’artistes, qui nous a enchanté, l’an passé, avec une version acidulée et contemporaine d’un des plus célèbres romans de Gustave Flaubert, a choisi une scénographie et une mise en scène épurées, feutrées pour qu’apparaissent les réincarnations en chair et en os de Colin, Chloé, Chick et Alise, les principaux protagonistes de l’Ecume des jours.
Ainsi, un papier peint suranné aux motifs floraux et quelques étranges instruments de musique servent d’unique décor. Tout l’univers de la fable de Vian passe dans le jeu des acteurs, dans leur façon de donner vie aux mots, aux objets, au monde surréaliste imaginé par le poète. Tout sonne juste, vrai. Au détour d’une phrase, on visualise parfaitement entre autres, le fameux pianocktail, l’appartement qui s’étiole avec le moral de Colin, la vie de sa tendre épouse, le nénuphar qui pousse dans les poumons de la charmante Chloé.
Au-delà de la satire religieuse, du portrait au vitriol d’une société consumériste et de la critique à peine voilée de Jean-Paul Sartre, L’Ecume des jours est aussi un roman d’amour à l’onirisme noir. Le bonheur ne dure pas, des forces invisibles extérieures l’obscurcissent jusqu’à le réduire à néant tuant à petits feux ceux qui ont rêvé y prétendre. Et c’est tout cela qu’avec ingéniosité et délicatesse, Sandrine Molaro et Gilles-Vincent Kapps, ont retranscrit sur scène, laissant à chaque spectateur la possibilité de se créer ses propres images, ses propres représentations. L’effet est magique.
Emporté par les rythmes jazzy et les airs de blues composés par Gilles-Vincent Kapps, on se laisse séduire par l’intensité de jeu des trois espiègles comédiens. Maxime Bouteraon est un Colin ténébreux, vibrant, au regard pétillant. Totalement habité par son personnage, il semble tout droit sorti du roman. Antoine Paulin incarne avec malice et justesse une dizaine de rôles. Il est à la fois le Chick amoureux mais incapable de renoncer à sa passion dévorante pour Jean-Sol Partre, une Alise bouleversante prête à tout pour l’homme de sa vie et Nicolas, le guindé cuisinier de Colin. Enfin, Roxane Bret prête son charmant minois à une Chloé acidulée et sentimentale.
Le charme désuet du cadre, l’atmosphère poétique et la fraîcheur flamboyante des artistes, nous charment, nous ensorcellent. Cette relecture de l’Ecume des jours est une bouffée d’air frais, une gourmandise romantique, une fable noire, onirique à déguster avec délice sans tarder.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
L’Ecume des jours de Boris Vian
Théâtre de la Huchette
23, rue de la Huchette
75005 Paris
A partir du 10 mars 2017
Du mardi au samedi 21H et séance supplémentaire le samedi à 16h
Durée 1h50
adaptation de Paul Emond
mise en scène de Sandrine Molaro et Gilles-Vincent Kapps
avec Roxane Bret, Maxime Bouteraon et Antoine Paulin.
lumières de Laurent Beal
Scénographie d’Erwan Creff
Costumes de Julia Allegre
Musique de Gilles-Vincent Kapps
Régie : Ider Amekhchoun
Crédit photos © Photo Lot