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Un amour impossible, vibrant et singulier hommage à la mère

Aux Ateliers Berthier, Célie Pauthe met en scène le roman de Christine Angot, Un amour impossible

De sa plume acérée, Christine Angot plonge dans ses douloureux souvenirs de fille, de femme, creusant jusqu’à la moelle, jusqu’à l’os son âme, son être, afin de se libérer des démons qui entachent sa singulière relation filiale. Donnant vie à ce texte sombre, clinique, Célie Pauthe signe un spectacle froid qui nous laisse étrangement en retrait malgré un duo épatant de comédiennes. Surprenant !

Sur une scène nue aux tons gris foncés, éclairée d’une lumière sépulcrale, deux femmes en imper sombre déambulent dans un lieu indistinct, improbable. Elles se jaugent du regard, se jugent. Après un long silence, elle s’abordent, se parlent. L’une, Christine (lunaire Maria de Medeiros), est la fille, et l’autre la mère, Rachel (fascinante Bulle Ogier). Entre elles, le climat est tendu, électrique, délétère. Les mots échangés sont froids, dénués de toutes émotions. C’est pourtant un moment bouleversant, le père de la jeune femme vient de décéder. Étrangement, le temps semble être suspendu, les sentiments absents. Pourtant, cette mort, loin de rapprocher les deux femmes, les garde à distance, réveillant des blessures anciennes.

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Telle une psychanalyste, une chirurgienne de l’âme, Christine s’immerge avec une minutie toute clinique dans ses souvenirs. Née, il y a une cinquantaine d’années, à Châteauroux, du coup de foudre qui unit un temps sa mère issue de la classe moyenne à un homme de la bourgeoisie parisienne envolé bien avant la naissance de cette enfant pourtant désirée, il ne la reconnaîtra que quelques 14 ans plus tard. Alors qu’enfant, elle vouait un amour passionnel à celle qui l’a élevée seule, une distance insidieuse, sourde les sépare. Il faudra attendre les révélations d’un ami de la famille pour qu’enfin la mère ouvre les yeux et mette fin au drame intime et incestueux que vit sa fille. Chaque fois que cette dernière rend visite à son père tant attendu, il la viole.

Ce lourd secret va peser sur les relations entre la mère et la fille, va les pourrir. Sans cri, sans larmes, sans hausser le ton, sans affection, elles communiquent, plus qu’elles ne parlent. Un affrontement sourd nourrit des non-dits s’installent entre elles et régit leur rapport. Utilisant sa plume comme un scalpel, Christine Angot gratte plus qu’elle n’ausculte son histoire, ses sentiments mêlés, son âme. Cliniquement, elle analyse sa vie, ses émotions, ses ressentis. Petit à petit, elle se met à nu, se libère des carcans sociaux, du démon qui dévore son cœur et l’empêche d’aimer jusqu’à la scène de confrontation finale, salvatrice. Derrière ce portrait froid d’un amour filial dénaturé, elle signe un hommage vibrant à cette mère sacrifiée sur l’autel de la colère.

C’est cette histoire de femmes blessées que Célie Pauthe a voulu mettre en scène. Aidée de Christine Angot, elle s’est attelée à donner corps à ce singulier duo mère-fille. En préférant le style dépouillé, minimaliste, elle privilégie le texte, sa sonorité, sa rythmique. Dans l’espace feutré, aseptisé, qui change à vue pour nous faire traverser les époques, sauter d’un lieu à un autre, les mots francs, tranchants de la scandaleuse auteure résonnent et frappent. Malheureusement à trop vouloir épurer l’écrin, à tendre vers un jeu minimaliste, le propos perd en substance et ne touche pas, d’autant que l’explication donnée par l’auteure sur le pourquoi de ce viol, de cette ultime transgression sociale semble tirer par les cheveux. Elle est certainement propre à son histoire familiale, mais peine à convaincre.

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Par ailleurs, et c’est très étrange, Célie Pauthe fait mentir l’essence même du théâtre, d’être un spectacle vivant. En effet, les parties filmées, où l’on voit les deux visages des comédiennes en gros plan confier leurs tourments, sont terriblement plus habituées, plus troublantes, plus bouleversantes que le reste de la pièce.

Portée par Maria des Medeiros, tout en retenue, et par Bulle Ogier, captivante en victime sacrificielle et mère forte, l’adaptation théâtrale d’Un amour impossible est assez fidèle. Elle convaincra les afficionados de l’auteur et laissera froid les autres. Terriblement dérangeante, la pièce interroge nos consciences sur les secrets de famille et leur impact sur nos rapports aux autres. Moins poignante, moins humaine que Les Chatouilles d’Andréa Bescond, la confession de Christine Angot laisse un goût amer dans la bouche comme si la blessure était toujours à vif, comme si la violente tempête entre amour et haine qui réside dans son cœur n’arrivait pas à s’apaiser.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


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Aux Ateliers Berthier, Célie Pauthe met en scène le roman de Christine Angot, Un amour impossible

Un amour impossible d’après le roman de Christine Angot
Ateliers Berthier – Odéon – Théâtre d’Europe
1, rue André Suares
75017 Paris
jusqu’au 26 mars 2017
du mardi au samedi à 20h et le dimanche à 15h
Durée 1h40

Adaptation Christine Angot
mise en scène Célie Pauthe
avec Maria de Medeiros et Bulle Ogier
scénographie Guillaume Delaveau
lumières Sébastien Michaud
musique et son Aline Loustalot
vidéo François Weber
costumes Anaïs Romand
collaboration à la mise en scène Denis Loubaton
collaboration artistique Marie Fortuit

Crédit photos © Elisabeth Carrachio

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