C’est une plongée abyssale dans le cerveau d’un homme devenu dépressif, neurasthénique, à la suite d’un tragique accident d’ascenseur. C’est une entrée sombre dans l’antre de la folie d’un individu qui refuse la société qui l’entoure. En adaptant le roman noir de Jean-Paul Dubois, Didier Bezace signe un spectacle bouleversant qui se perd dans de lentes et inutiles digressions. Dommage !
Un homme de noir vêtu se tient sur scène. Son regard, triste, presque hagard, semble obnubiler par les écritures, les dessins qui couvrent les murs derrière lui. C’est une voix –off, celle de son esprit qui rompt le silence pour nous conter son histoire, celle de Paul Sneidjer (épatant Pierre Arditi). Homme passe partout d’origine française, il vit tranquillement dans la banlieue de Montréal avec Anna (rigide Sylvie Debrun), son ambitieuse seconde épouse. Apathique, il traîne la patte depuis qu’il a réchappé par miracle à un accident improbable et mortel d’ascenseur. Obsédé par ce qui lui est arrivé, il cherche désespérément à comprendre comment il a pu être l’unique survivant de cette impossible défaillance.
Se livrant à une introspection minutieuse, approfondie, il puise au plus profond de ses souvenirs, de ses sentiments et de ses émotions pour se révéler à lui-même dans toute sa lâcheté, dans le dégoût de soi. Dressant un portrait noir de sa vie, il en vient à détester le monde qui l’entoure. En premier lieu, sa femme autoritaire et castratrice, puis ses fils, des jumeaux si semblables à leur mère, et enfin cette société verticale, rigide qu’il ne supporte plus. Préférant prendre un travail d’étudiant plutôt que de retrouver son poste dans une grande société d’électronique, il s’enferre un peu plus chaque jour dans une marginalisation. Passant pour fou aux yeux des autres, des bienpensants, il finit par mélanger faits réels et rêves. Il revoit sa fille tant aimée (évanescente Morgane Fourcault), celle qu’il a eu d’un premier mariage et qui n’a jamais eu droit de cité dans sa nouvelle famille, celle qui était avec lui dans l’ascenseur, mais qui n’a pas survécu.
C’est avec beaucoup de minutie que Didier Bezace a adapté au théâtre le roman à succès de Jean-Paul Dubois. Il n’a négligé aucun détail, il a suivi toutes les pistes d’investigation qui permettent de mieux comprendre ce singulier Cas Sneijder. Est-il fou ? Est-il encore sous le choc ? Ou remet-il tout simplement en cause le modèle étroit et conformiste de la société dans laquelle il vit ? C’est cette ambiguïté singulière qui fait le sel de cette œuvre étonnante. En nous plongeant au sein même de l’esprit de Paul Sneijder, l’auteur nous entraîne dans une sorte de thriller psychologique, passionnant qui nous oblige à réfléchir sur notre propre perception de ce monde normé qui formate nos sentiments, nos actions. Grâce à une scénographie ingénieuse où le metteur en scène nous place dans la tête du personnage principal – une grande boîte qui s’ouvre au gré des souvenirs ou des rencontres sur des lieux familiers ou des paysages brumeux – , l’immersion est totale.
Bien que l’humour de l’œuvre de Dubois soit présent, on est envahi par une sensation de langueur mélancolique, de tristesse engourdie. On sombre dans les eaux profondes de l’âme amère, noire de Paul Sneijder magistralement interprété par Pierre Arditi. On est englué dans une lenteur qui nous empêche d’être totalement embarqué dans cet étrange voyage au cœur de l’esprit humain. En voulant à tout prix respecter le roman, Didier Bezace se perd dans des cirvonvolutions inutiles. Etirant des scènes à l’envi, abusant d’une voix-off introspective, troublante et trop pressante, il dilue la belle mécanique, enraye l’étonnante rythmique qu’un travail de coupes permettrait de dynamiser.
Heureusement, la présence lumineuse d’un chien cabotin, le jeu esquissé, fin de Pierre Arditi et le duo, trop rare sur scène, qu’il forme avec Didier Bezace, réveillent nos esprits et nous sauvent de l’ennui. Bien que bancale, la pièce se laisse ainsi découvrir avec un intérêt certain.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Le cas Sneijder d’après le roman de Jean-Paul Dubois
Théâtre de l’Atelier
1 place Charles-Dullin
75018 Paris
A partir du 21 février 2017
Du mardi au samedi à 21h, matinées le samedi à 18h et le dimanche à 15h.
Durée 1h45
Adaptation et mise en scène de Didier Bezace
Avec Pierre Arditi, Didier Bezace, Sylvie Debrun, Morgane Fourcault et Thierry Gibault
Crédit photos © Nathalie Hervieux
Complètement d’accord. J’ai trouvé ça d’une lenteur insupportable.