La nuit juste avant les forêts, confessions rageuses d’un jeune en détresse

Au Poche-Montparnasse, le Jeune Eugène Marcuse erre dans un état second, fébrile et vibrant, au cœur de La nuit juste avant les forêts.

Froide, glaçante, est la nuit qui annonce la mort. Elle embrume les âmes, les rend fragiles, prêtes à lâcher leur fiel sur une société égoïste et autocentrée. De cette matière sombre, mortifère, Bernard-Marie Koltès tire un monologue âpre d’une rare intensité qui nous saisit, nous mord et nous entraîne dans les tourments de la solitude urbaine. Porté par le jeune et fascinant Eugène Marcuse, cette litanie acide et funeste s’éclaire d’un éclat nouveau poétique et rageur.

Alors qu’on entre dans la salle, sur scène, un jeune homme, silhouette dégingandée, se débat avec une sorte de manteau en piteux état. Un brin névrotique et compulsif, il a l’air incapable d’enfiler l’oripeau malgré les singulières contorsions dont son corps est capable. Tous ses mouvements sont ralentis, freinés. Il semble sous l’emprise de quelques drogues, quelques alcools. Petit à petit, l’obscurité emplie l’espace, les conversations s’arrêtent. Dans le noir, dans le silence, une voix s’élève. Hésitante, elle harangue un passant. Elle se raccroche à cette trace d’humanité. En quête d’un lieu pour dormir, le jeune homme tente le tout pour le tout. Il raconte à cette oreille complaisante, sa vie, ses envies, comment il perçoit le monde.

Intensément, Eugène Marcuse incarne ce jeune homme perdu dans la nuit © DR-JPG

Si les premiers mots sortent difficilement de cette gorge serrée par l’angoisse, par le froid qui tenaille ce corps chétif, ils finissent par couler fougueux, rageurs, à nous emporter dans un tourbillon violent mêlant étroitement haine et passion. Véritable diatribe contre une société qui l’a rejeté, le jeune homme, dévoré par des tourments intérieurs, déclare une guerre sans pitié au monde urbain, industriel qui refuse la différence et abrutit les êtres. Fiévreux, il se raccroche à un dernier espoir de vie, un abri contre la mort qui rôde, tapie dans l’ombre. Dans un ultime souffle, il parle à cet inconnu qu’il a pris en otage de ses rêves à jamais perdus, de ses visions fantasmagoriques, de cette nature si proche et si lointaine.

Pour adapter certainement le plus complexe, le plus âpre des textes de Bernard-Marie Koltès, il fallait de l’audace, de l’ingéniosité et surtout trouver le bon comédien, celui qui serait donner vie à ces maux. C’est chose faite. En confiant ce monologue sombre et intime au jeune Eugène Marcuse, Jean-Pierre Garnier donne un souffle nouveau à cet éprouvant seul-en-scène. Dans la scénographie épurée imaginée par Yves Collet, il fait évoluer, se contorsionner ce personnage en détresse, en quête d’humanité. Ici, le metteur en scène a banni le superflu, les effets de style, les manières outrancières, se contentant des mots brûlants de Koltés et des dernières convulsions d’un homme à l’agonie.

Le corps et l’âme morcelés, comme autant de fragments de miroirs qui jonchent le sol, Eugène Marcuse est ce jeune homme perdu, fébrile. Il lui donne sa fougue, sa fièvre. Habité par le personnage, il séduit, hypnotise le spectateur l’entraînant dans les méandres de son cerveau exalté. Malgré la rudesse du texte qui pourrait rebuter certains, il nous happe, nous saisit, nous bouleverse par son talent brut, animal. A n’en pas douter, une vocation est née, une révélation est en marche.

Glacé par la dureté de cet éprouvant et passionné monologue qui se perd parfois dans des chemins de traverse, l’interprétation tourmentée d’Eugène Marcuse nous mord l’âme et conquiert nos cœurs. Un bijou théâtral brut et incandescent !

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


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Au Poche-Montparnasse, le Jeune Eugène Marcuse erre dans un état second, fébrile et vibrant, au cœur de La nuit juste avant les forêts

La nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès
Théâtre du Poche-Montparnasse
75, boulevard du Montparnasse
75006 Paris
jusqu’au 7 janvier 2017
du mardi au samedi à 19h
durée 1h15

Mise en scène Jean-Pierre Garnier
Avec Eugène Marcuse
Scénographie et lumière Yves Collet
collaboration artistique : Olivier Dote Doevi
Travail du mouvement : Maxime Franzetti
Création sonore : Joncha

Crédit photos © DR-JPG

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