Sous le regard amusé de l’éternelle suivante baptisée Lisette, les amours se font et défont. S’intéressant plus particulièrement à la relation mère – fille, ce Marivaux qui n’a rien d’étincelant vaut pour la mise en scène enlevée et rythmée de Xavier Lemaire et le jeu pétillant des comédiens. La farce est joyeuse et se savoure avec un malin plaisir. Rires garantis !
Tout commence dans un musée de province. Au mur, le Pèlerinage pour l’île de Cythère d’Antoine Watteau fait face à une robe à panier typique de la fin du XVIIIe siècle. Une motte de terre recouverte d’herbe luxuriante appelle les visiteurs à se poser dans ce petit paradis réinventé afin d’emporter leur imagination au cœur de ses fêtes galantes où les corps se cherchent, les amants se retrouvent. Le temps que le public s’installe, une voix off, légèrement monocorde, répète inlassablement les mêmes commentaires sur l’œuvre. Doucement, les lumières s’éteignent, le lieu s’endort. Un gardien fait sa ronde. Nulle âme à l’horizon, il s’assied dans un coin et s’assoupit. Subrepticement, le tableau semble s’animer. Le mur bouge formant un étrange labyrinthe fait de fragment géant de la célèbre peinture de Watteau. Comme plongé dans l’œuvre, le spectateur se met à rêver et sous ses yeux ébahis, les personnages prennent vie.
Un jeune homme, vêture contemporaine, erre dans cet étrange endroit étrange. Un livre à la main, il espère impatient la venue de quelque personne chère à son cœur. C’est Dorante (charmant Thibault Pinson), un jeune nobliau désargenté. Malheureusement pour lui, il est amoureux d’Angélique (lumineuse Manon Montel), une riche héritière. Son peu de bien pourrait bien être un obstacle à l’hyménée tant désiré, d’autant que la méfiante et suspicieuse mère de cette dernière (empesée Marie Delaroche) a un autre dessein en tête : l’union de sa fille unique avec le très riche et très pourceau Ergaste (hilarant Xavier Lemaire). C’est sans compter l’impayable suivante d’Angélique, la fantasque Lisette (truculente Isabelle Andréani) prête à tout pour le bonheur de sa maîtresse.
Si tout semble perdu d’avance, quiproquos et retournements de situation à gogo vont venir à bout des réticences de la récalcitrante mère, car au fond sous la plume acérée et lucide de Marivaux, l’amour, le véritable, triomphe toujours. S’attachant aux mots du dramaturge et au rocambolesque de la situation, Xavier Lemaire force le trait et s’amuse à mettre en lumière toute la cocasserie de la pièce : Une mère soucieuse de la réputation de sa fille et surtout de la sienne propose à cette dernière d’être le temps d’une conversation sa simple confidente. S’appuyant sur une ingénieuse et labyrinthique scénographie, il fait et défait les liens, s’amuse des malentendus et équivoques entre les personnages. Si on peut regretter l’absence de costumes d’époque qui aurait ajouter une dimension fantasmagorique à ce rêve éveillé, on se délecte des saillies drolatiques de cette œuvre moins prisée de Marivaux.
Hilarant dans sa forme, poignant dans le fond, le spectacle vaut surtout par les talents des comédiens. Xavier Lemaire est un Ergaste pataud et lourdaud dont chaque entrée fracassante déclenche des salves de rire. Franck Jazédé est impayable en garde-chasse benêt qui vendrait père et mère pour quelques menues monnaies. Manon Montel est une bien lumineuse et pétillante Angélique partagée entre l’obéissance filiale et l’amour qui tenaille son cœur. Thibault Pinson est ténébreux à souhait. Fiévreux, intense, il insuffle à son personnage une profondeur romantique touchante. Seul bémol à ce tableau, Marie Delaroche qui semble bien empruntée dans ce rôle de mère, ne montrant que son côté rabat-joie sans jamais la montrer caressante et maligne pour tromper l’attention de sa fille. Heureusement, l’éclatante Isabelle Andréani emporte toutes nos réserves. Véritable tempête humaine, elle mêle astucieusement grimaces et pantomimes. Facétieuse, elle donne à Lisette une ampleur singulière qui nous emporte et nous séduit. Elle est la pépite de cette jolie farce à découvrir sans tarder !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La mère confidente de Marivaux
Cycle Xavier Lemaire
Studio Hébertot
78 bis, boulevard des Batignolles
75017 Paris
jusqu’au 08 janvier 2017
le jeudi à 19h, les vendredis et samedi A 21h et le dimanche à 16h30
puis jusqu’au 05 février 2017
du jeudi au samedi à 21h et le dimanche à 14h30
Relâche exceptionnelle le dimanche 15 janvier 2017
Durée 1h45
mise en scène de Xavier Lemaire
avec Isabelle Andréani, Marie Delaroche, Manon Montel,Franck Jazédé, Thibault Pinson et Xavier Lemaire
Crédit photos © Photo Lot