Les mots butent, se brisent cassant la belle rythmique d’un texte fastidieux, un brin trop lyrique. Les corps accidentés se meuvent singulièrement donnant à l’ensemble un esthétisme, hors norme et bouleversant. Loin d’un théâtre normé, Madeleine Louarn et les comédiens de Catalyse nous entraînent dans un monde fantasmé et décalé où évolue le double abîmé de ce roi de Bavière esthète et fou.
Roi de contes de fées, Ludwig s’est affranchi des normes de son temps pour vivre selon son goût et ses désirs. S’il a fini par en payer de sa vie le prix, il n’a mis aucune limite à ses envies. Artiste dans l’âme, rêvant d’absolu et de beauté, il s’est laissé porter par une douce folie dilapidant l’argent public pour créer des lieux toujours plus fantastiques, plus féériques. Amoureux de sa cousine, la fameuse Sissi, attiré par les hommes, totalement subjugué par la musique et la personnalité de Richard Wagner, il a vécu en marge d’un monde en pleine mutation. C’est dans cet univers fantasmagorique, dans cette vie singulière et troublante que nous plonge la pièce écrite par Frédéric Vossier spécialement pour les comédiens handicapés mentaux de l’atelier Catalyse.
Afin d’être au plus près de l’action, du jeu de ces artistes atypiques, Madeleine Louarn a imaginé, avec la complicité de Marc Lainé, une scénographie en bi-frontal. Ainsi, le public est totalement happé par l’atmosphère onirique de ce spectacle-hommage, à l’étrangeté de ce Roi de légende. Dans un espace gris, où seule la photo sépia du château de Neuschwanstein rappelle la Bavière, les six comédiens qu’ils soient handicapés mentaux, trisomiques, ou autistes, font revivre le monarque lunaire, ses états d’âme, ses excentricités. Ils nous entraînent dans un monde enfantin de princesses aux robes roses, dans un conte féérique teinté de mélancolie.
On ne peut que saluer le travail de Madeleine Louarn qui depuis plus de 30 ans, fait de la différence des artistes de l’atelier Catalyse une force. Pourtant, un sentiment étrange étreint certains spectateurs à la sortie de Ludwig, un roi sur la lune, partagés entre la belle performance, la beauté onirique des images et une forme de voyeurisme qui oblige le spectateur à ne considérer le spectacle que comme une performance d’acteurs déficients qui les enferme un peu plus dans leur handicap au lieu de les en libérer. Ainsi la poésie de Frédéric Voissier se brise en raison de la difficile prononciation d’un texte trop complexe et au parti-pris de Madeleine Louarn de ne pas mêler la troupe de comédiens handicapés à d’autres artistes. Si la fragilité du jeu nous touche au cœur, elle ne suffit malheureusement pas à totalement nous bouleverser. A force de trop de différence, on perd le propos, la puissance de l’entreprise. Dommage !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Ludwig, un roi sur la lune de Frédéric Vossier
Théâtre Gérard Philippe – salle Roger-Blin
59, boulevard Jules-Guesde
93200 Saint-Denis
jusqu’au 12 décembre
du lundi au samedi à 20 h, le dimanche à 15 h 30. Relâche le mardi
Durée : 1 h 30
Mise en scène de Madeleine Louarn
Avec Rodolphe Burger, Julien Perraudeau et les comédiens de l’atelier Catalyse : Tristan Cantin, Guillaume Drouadaine, Christian Lizet, Christelle Podeur, Jean-Claude Pouliquen, Sylvain Robic
Musique de Rodolphe Burger
Chorégraphie de Loïc Touzé et Agnieska Ryszkiewicz
Dramaturgie de Pierre Chevallier
Scénographie de Marc Lainé
Lumière de Michel Bertrand
Costumes de Claire Raison
Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage
Bonjour,
J’ai vu le spectacle cet été à sa création et je ne suis pas d’accord avec votre voyeurisme, je vous conseille d’écouter le dialogue artiste-spectateur qui a suivi à Avignon, et vous verrez que le handicap n’aura jamais été aussi lucide sur l’état du monde ! Ce sont tous des très grands comédiens, ils n’ont pas besoin d’être mêlé à d’autres artistes sur scène, ils sont déjà entourés par un trio inquiétant formé par Burger et tant d’autres… Ludwig un roi sur la lune, c’est à mon humble avis un contre-téléthon !
Je comprends parfaitement votre point de vue, toutefois je garde une réserve sur le spectacle. encore une fois je salue le travail énorme fait par la troupe et par Madeleine Louarn