Loin d’une énième version du Mariage de Figaro, Thomas Condemine et Élie Triffault nous entraînent dans les coulisses de la création artistique au cœur des répétitions. S’amusant des travers tant du théâtre subventionné que du théâtre privé, ils brossent un portrait drolatique du monde de spectacle grâce à une mise en abyme vertigineuse. Un pur moment de plaisir à déguster sans modération !
Au paradis du Lucernaire, alors que le public s’installe, sur scène un homme se prépare. Il se brosse les dents sans se soucier du bruit autour. Pieds nus, il met tranquillement des chaussettes avant d’enfiler ses chaussures. Enfin prêt, la salle plonge dans le noir et le spectacle peut commencer. Lui, c’est Allan (fantastique et lumineux Élie Triffault), le coiffeur pyrénéen qui s’est vu proposer, un jour d’été, le premier rôle du Mariage de Figaro de Beaumarchais par Mario un metteur en scène complètement allumé.
Devenu comédien à « l’insu de son plein gré », il débarque sur le projet en pleine répétition. Autour de la table qui sert de point de ralliement à toute la troupe, l’attendent Anne, l’actrice dépressive, Suzanne, la comédienne nymphomane complétement à la masse, James, la star anglaise imbue d’elle-même et Martin, l’éternel second rôle, gauche et totalement gay. Rapidement, le metteur en scène, un peu arty, beaucoup loufoque, qui rêve de réinventer la façon de faire du théâtre, présente la distribution sans oublier de souligner qu’Allan « n’a jamais fait de théâtre, ça tombe bien c’est pas ce qu’on va faire non plus. » Le décor du désastre annoncé est planté.
Dans un décor kitsch, où une bâche plastique placée devant une fausse fenêtre, sert de toile de fond pour nous donner l’impression d’être face aux cimes enneigées des Pyrénées, le petit groupe de « théâtreux », isolée dans une maison perdue dans la nature, entame les catastrophiques répétitions. Embarqué dans cette aventure burlesque et cocasse, le jeune Allan découvre l’envers du décor…
Avec malice et autodérision, les deux auteurs s’amusent des clichés véhiculés par un certain théâtre qui oscille entre amateurisme branque et nombrilisme patenté. Ainsi, chaque personnage interprété brillamment par Élie Triffault est un véritable archétype du métier. Exagérant à loisir leurs traits, il nous entraîne dans une fable drolatique qui interroge sur la liberté de chacun à se rebeller contre l’ordre établi, à prendre son envol et à vivre. C’est en ça que le parallèle avec la pièce de Beaumarchais se révèle passionnant. Tout comme Figaro, Allan et les autres protagonistes de l’histoire sont enfermés dans des carcans sociétaux, qu’il leur faut briser pour exister hors de leur caricature, loin de leur caste.
Grâce à la mise en scène fort ingénieuse de Thomas Condemine, Élie Triffault s’en donne à cœur joie et mouille littéralement sa chemise. En un battement de cil, il change de rôle, de personnalités. À Chacun son tic, qui permet de le reconnaître aisément : l’accent italo-espagnol du metteur en scène, le regard vide d’Anne, les œillades énamourés de Suzanne, la démarche de camionneur de James, les gestes vifs et ronds de Martin, le naturel et les avant-bras tatoués d’Allan. On se laisse totalement happé dans cet univers burlesque à la rythmique effrénée. Bondissant, virevoltant, le flamboyant comédien conquiert habilement son auditoire. A chaque réplique, à chaque pantomime, les rires fusent en cascade pour ne s’arrêter qu’avec le final.
Loin des sentiers battus, Figaro, j’aurais mieux fait de rester coiffeur séduit par sa fraîcheur, sa force comique et dramaturgique. Une gourmandise aux multiples et riches saveurs qui se déguste sans modération… A mourir de rire !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Figaro, j’aurais mieux fait de rester coiffeur de Thomas Condemine et Élie Triffault
Théâtre du Lucernaire -Salle du Paradis
53, Rue Notre Dame des Champs
75006 Paris
Jusqu’au 14 janvier 2017
Du mardi au samedi 19h
Durée 1h15
mise en scène de Thomas Condemine
avec Élie Triffault
Lumières de Baptiste Lechuga
Régie générale : Baptiste Bussy
Voix enregistrées : Yves Beaunesne, Lou Chauvain et Claude Bernard Pérot
Crédit photos © Antoine Billet