Les mots ont du mal à se libérer de leur carcan humain. Emprisonnés dans l’esprit du jeune garçon, ils s’égrènent avec lenteur, hachés par l’effort. Avec le temps, ils coulent plus fluides, moins rageurs. A force de volonté, d’impatience colérique, le jeune homme brise les chaines de ce trouble qui l’empêche de communiquer avec les autres, tue son double autiste et se livre dans un spectacle autobiographique poétique et poignant… Une plongée vertigineuse dans ce monde du silence qui balaye les préjugés et réveille nos consciences.
Le rideau noir s’ouvre sur un espace qui rappelle l’enfance. Des jouets éparpillés çà et là, une grande caisse transparente rappelant les coffres où nous rangions nos affaires quand nous étions petits, un porte-manteau à tête de cerf, servent de décor. Dans un halo de lumière, un super héros apparaît. Cape rouge satinée, masque de même couleur, Julien (fantastique Hugo Horiot) vient à notre rencontre. Il se présente. Il a 4 ans. Il sait déjà qu’il n’est pas comme les autres. Il est différent.
Curieux du monde qui l’entoure, avide de s’exprimer, les mots se bousculent dans sa tête, mais sortent difficilement. Fractionnés, morcelés, ils se disséminent avec une lenteur toute rageuse. Mais les entend-t-on vraiment ? N’est-ce pas le fruit de notre imagination ? Julien est autiste. Il a été diagnostiqué Asperger. Il est incapable de parler. Il est comme emmuré vivant dans le silence. Colérique, nerveux, il n’arrive pas à se libérer de cette prison imaginaire qui encercle son esprit, le bride, l’exclut de toute communication. Il lui faudra une volonté de fer et beaucoup de temps, d’années, pour briser ces barrières invisibles et enfin dévoiler l’être sensible et fragile qu’il est. Enfant courageux, étrange, singulier, il tuera Julien ce double qui l’empêche d’avancer, pour devenir Hugo.
En adaptant sa propre histoire, Hugo Horiot nous entraîne dans le monde de son enfance, celui où toutes ses perceptions étaient si particulières, si différentes des nôtres. Il nous attrape, nous saisit au vol. Il nous plonge dans ses pensées, nous enferme dans cette forteresse imaginaire qui l’a vu grandir à distance des autres. Et c’est ce sentiment d’enfermement étrange, entre cocon ouaté et prison froide, qui nous assaille, nous captive et nous bouleverse.
La sobre et ingénieuse mise en scène de Vincent Poirier souligne parfaitement cette sensation. Elle colle à la personnalité versatile d’Hugo, tantôt colérique, tantôt poétique, et évolue avec lui. Ainsi, au fur et à mesure que le jeune Asperger grandit et se libère de son trouble, de ses chaines, l’espace se vide. En décidant de joindre au comédien la présence silencieuse et apaisante de Clémence Colin, traductrice en langue des signes et partie intégrante du spectacle, il donne un contrepoids aux errances rageuses du jeune homme et une douceur lumineuse à l’ensemble.
Totalement pris par l’histoire d’Hugo, on se laisse embarquer dans son univers aux couleurs et aux émotions si distinctes. On est immergé dans un monde à part qui nous touche et nous bouleverse. Balayant nos préjugés et nos aprioris, on réapprend à aimer l’autre, avec ses forces, ses faiblesses et surtout ses différences.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
L’empereur, c’est moi d’Hugo Horiot
Studio Hébertot
78bis, Boulevard des Batignolles
75017 Paris
Jusqu’au 20 novembre 2016
du mardi au samedi à 21h et le dimanche à 15h.
Durée 1h30 environ
mise en scène de Vincent Poirier
avec Hugo Horiot et Clémence Colin
traduction en langue des signes par Clémence Colin.
Compagnie Dodeka
Crédit photos © Virginie Meigné