Dans l’intimité du couple, les faux semblants, les masques tombent libérant la vraie nature de chacun. C’est ce moment cruel et intense que scrute avec un malin plaisir Gilles Gaston-Dreyfus. De sa plume acérée, de son écriture acide, teintée d’humour noir et de mélancolie, il scrute différents couples au bord de l’asphyxie, ausculte nos pires pulsions avant de les libérer dans un dernier souffle salvateur. Accompagné de la fascinante et troublante Anne Benoit, il explore le monstre qui sommeille en nous dans un huis-clos cynique, glaçant et férocement drôle.
Tout semble bien calme dans ce très beau et très chic salon parisien. Un magnifique canapé jaune au ligne ronde, pure, trône en son centre. Tout respire l’appartement bourgeois : les couleurs chatoyantes des meubles contrastant avec le gris des murs, les matières élégantes et chaudes détonnant avec la froideur de l’espace.
Alors qu’une variation de Bach rompt le silence, un couple s’installe. On dirait qu’il rentre d’une quelconque soirée « arty ». Gilet noir, robe turquoise, cheveux coupés au carré, Clémence (flamboyante Anne Benoit) semble un peu ahurie, perdue dans ses pensées. Elle semble légèrement effrayée. Costume gris, chemise blanche, Jean (surprenant Gilles Gaston-Dreyfus) est plus détendu, plus conquérant.
Tous deux s’installent dans le canapé et commencent à disserter sur leur vie de couple, leurs sentiments, leurs inimitiés réciproques et sur le drame qui s’est joué dans l’appartement qu’ils occupent aujourd’hui. Les fantômes du passé hantent les lieux et attisent les rancœurs de ce couple petit bourgeois que l’amour a usé, abîmé. Ils se disent des horreurs avec un raffinement cruel, se détestent avec infiniment de politesse.
Incapable de se séparer, habitués des scènes de ménage vides de sens à la violence rentrée proche de l’indifférence, la seule issue à ce drame intime semble résider dans la mort de l’autre. Ainsi, durant une bonne heure, plusieurs couples vont se succéder, chacun dévoilant ses fêlures, ses blessures sans que jamais il n’y ait d’échappatoire au déchaînement de violence, à la férocité de l’amour éteint, à la tragique fin de l’un des deux.
En plongeant au cœur de l’intimité de couples que le quotidien a usé, laminé, Gilles Gaston-Dreyfus signe un huis-clos cynique, absurde et cocasse. De son scalpel affûté, il dissèque les comportements humains avec une acuité glaçante, un humour noir mordant. S’amusant du style et des itérations, il construit une pièce à tiroirs terriblement mélancolique, cruellement drôle et furieusement humaine qui nous prend en otage avec un malin plaisir.
Totalement immergé dans cette guerre de couples, on se laisse prendre à ce jeu cruel, emporté par l’incroyable talent des deux comédiens. Anne Benoit est magistrale. Elle module à loisirs sa voix et ses attitudes. Tantôt femme frêle, apeurée, tantôt tigresse sauvage et féroce, elle illumine la scène par la force de sa démesure, par sa fascinante prestance. Face à elle, Gilles Gaston-Dreyfus est plus en retrait. Pince sans rire, il compose une multitude de personnages plus troubles, plus lâches les uns que les autres. Préférant la ruse à l’affrontement direct, il biaise avec habileté et roublardise.
De ce choc de titans féroce et cocasse, nous ne sortirons pas indemne. Si certaines remarques, certaines situations nous poussent à la réflexion et nous interrogent sur notre propre histoire, on se laisse totalement séduire par ses deux artistes aux caractères trempés, aux charmes singuliers… Un terrible et hillarant moment à savourer avec un plaisir presque indicible !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Couple de Gilles Gaston-Dreyfus
Théâtre Edouard VII
10 place Édouard VII
75009 PARIS
Du mardi au dimanche à 19h
Durée 1h10
Mise en scène de Gilles Gaston-Dreyfus
avec Anne Benoit et Gilles Gaston-Dreyfus
collaboration artistique Gilles Kneusé
Décor de Nicolas Sire
Lumière de Fabrice Combier
Costumes de Carine Sarfati
Conception sonore de Jean Croc
Spectacle créé au Théâtre du Rond-Point
Crédit photos © Giovanni Cittadini Cesi
