S’affranchissant des codes, Le rouge et le noir, imaginé par Sorel, a plus des airs de concert théâtralisé que de comédie musicale. Jouant la carte de la différence, le spectacle se démarque tant par sa scénographie minimaliste mais ingénieuse que par des chansons aux textes plus travaillés et aux sonorités résolument rock. Si théâtralement le jeu des artistes a bien du mal à convaincre, la magie de leurs voix et l’utilisation judicieuse et efficace de la vidéo opèrent et nous transportent au cœur des amours contrariées de Julien Sorel… En somme, un musical que l’on déguste avec un plaisir certain !
Alors que la salle légèrement fanée du Palace plonge dans le noir, une voix s’élève. C’est celle du tonitruant narrateur (fantastique Yoann Launay). Saltimbanque reconnu, chanteur d’opéra à ses heures, il vient nous narrer par le menu les tristes amours du jeune Julien Sorel (épatant Côme). Enfant brillant né dans une famille pauvre d’artisans, il n’a d’autre solution pour s’extraire à un destin tout tracé que de rentrer dans les ordres. Avant de revêtir définitivement l’habit d’ecclésiastique, il est engagé comme précepteur chez Monsieur de Rênal (Philippe Escande). Nobliau de province, ce dernier est le maire de la petite commune franc-comtoise de Verrières.
Très vite, le charme du jeune homme va faire des ravages. Toutes les femmes de la maisonnée vont y succomber de l’effrontée femme de chambre (espiègle Cynthia Tolleron) à la trop sage et vertueuse Louise de Rênal (ténébreuse Haylen). Une passion dévorante va emporter les deux amants et leur faire oublier toute retenue et toute raison. Quand une lettre anonyme dévoile la secrète idylle, l’impatient et révolté Julien doit fuir. Se sentant trahi, blessé dans son amour propre, ce dernier jure de se venger.
A Paris, une autre vie l’attend. Dans le regard ingénu et impertinent de Mathilde (Julie Fournier), la fille du marquis de la Môle (Michel Lerousseau) qui l’emploie comme secrétaire particulier, il pansera ses blessures et se laissera aller à l’amour véritable. Tout semble enfin apaisé, c’est sans compter la jalousie terrible et implacable de son ancienne maîtresse…
Adapté en comédie musicale, un des romans fleuves de Stendhal était une gageure bien difficile à relever. Pourtant le titanesque défi est loin d’avoir effrayé le chanteur compositeur Sorel – dont le nom de scène est directement emprunté à Stendhal – pour notre plus grand plaisir. Disons-le tout net, le pari est largement réussi. Tout y est : l’intrigue amoureuse, l’ambition, la haine, la trahison, la lutte des classes et le désir d’ascension sociale. En un peu plus de deux heures, toute la dramatique et fatale histoire du jeune héros du Rouge et le noir est dévoilée dans sa cruauté et sa noirceur grâce à l’ingéniosité du fascinant Alexandre Bonstein qui signe adaptation et livret.
Si la magie opère, c’est que Sorel a su s’entourer d’une équipe créative talentueuse et s’éloigner des sentiers déjà battus et rebattus par tant d’autres spectacles musicaux. Préférant le pop-rock à la variété, il a insufflé au Rouge et le noir, avec l’aide du compositeur William Rousseau, un style résolument moderne, une couleur sombre plus proche de ses propres aspirations d’artistes et une sonorité qui swingue et entraîne.
Côté paroles, ce sont les plumes ciselées de Zazie et Vincent Baguian qui se sont attelées à la tâche. Le résultat est plutôt convaincant d’autant que les deux artistes ont su actualisé intelligemment les thèmes sociétaux du roman.
L’autre réussite du spectacle, c’est de s’être affranchi des décors en en mettant plein les yeux aux spectateurs. Grâce à un jeu de projections vidéos et d’immenses écrans LED, François Chouquet et Laurent Seroussi nous invite au cœur de l’action, nous entraîne dans les bosquets de la gentilhommière des Rénal, dans la chambre de Louise, dans les salons des de la Môle, etc. L’effet est bluffant.
Le principal bémol de cet opéra rock est incontestablement la partie théâtralisée. Chanteurs pour la plupart, issus pour certains de télé-crochets, ils ont bien du mal à incarner leurs personnages, passant souvent à côté de la dramaturgie du roman noir de Stendhal. Heureusement, ils ont tous de sacrées voix et savent parfaitement les moduler. Côme, voix grave et rock, réinvente Julien Sorel, lui donnant un éclat particulier de jeune exalté très moderne. Haylen, timbre de velours, est une Louise de Rênal incandescente. Yann Launay, prestance de ténor, donne au narrateur une dimension singulière, vibrante. On est d’autant plus séduit par ces prestations vocales qu’un orchestre live joue au-dessus de la scène.
Si Le Rouge et le noir, l’opéra Rock est certes un musical décalé, qui n’a que peu de chose à voir avec ce que l’on voit actuellement à Paris, il n’en reste pas moins l’un des spectacles musicaux à voir. Laissez-vous tenter et plongez dans les eaux troubles et sombres des amours du jeune Sorel.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Le rouge et le noir d’après Stendhal
Le Palace
8 rue du Faubourg Montmartre
75009 Paris
Jusqu’au 13 novembre 2016
Du jeudi au samedi à 20h30. Le samedi à 15h. Le dimanche à 17h.
Durée 2h30 environ avec entracte
Adaptation & livret d’Alexandre Bonstein
Compositeurs Chansons : Sorel & William Rousseau.
Auteurs Chansons : Zazie & Vincent Baguian.
Mise en Scène de François Chouquet & Laurent Seroussi
Avec Yoann Launay, Côme, Haylen, Julie Fournier, Cynthia Tolleron, Patrice Maktav, Elsa Pérusin, Michel Lerousseau et Philippe Escande
Crédit photos © Anthony Ghnassia &© Caroline Aelion