Hypocrisie, perfidie et petites mesquineries règnent en maître dans l’enceinte feutrée de cette public school britannique, où l’on assiste, impuissant, à la mise à mort psychologique, au naufrage d’un vieux professeur en fin de parcours, abîmé par la vie. Haï de sa femme, détesté de ses collègues, craint de ses élèves, diminué par la maladie, il sombre sous les coups, agonise. Un dernier sursaut, une dernière bravade, révèlent l’homme, ses fêlures derrière le masque des faux semblants. En mettant en scène cette pièce noire et cruelle de Terence Rattigan, Patrice Kerbrat signe une comédie de mœurs « so british », certes désuète mais fort savoureuse.
LAvant-dernier jour avant la remise des diplômes, le jeune Taplow (gauche et espiègle Thomas Sagols), élève de seconde, pénètre une dernière fois dans l’antre du professeur qui le terrorise depuis un an : Andrew Crocker-Harris (fantastique Jean-Pierre Bouvier), plus connu sous le sobriquet de Croquignol. Collé pour une mauvaise version latine, légèrement angoissé par l’attente, il n’a aucune idée de ce que va lui réserver cette interminable journée.
Dans l’atmosphère feutrée et surannée, entre les quatre murs couverts de tentures défraîchies à fleurs du bureau de celui que l’on nomme à voix basse « l’Himmler de la seconde », le jeune homme va assister à un ballet aussi mortifère que sanglant qui le laissera pantois, stupéfait par la nature humaine. Un à un, professeur, doyen de l’école, futur remplaçant et épouse, vont défiler et darder sur l’homme à terre, qui vit ses dernières heures dans l’enceinte de ce collège anglais, leurs banderilles assassines. Tous viennent régler leur compte avec une fausse amabilité, une feinte politesse. Mais les masques se craquèlent et laissent apparaître une sombre humanité, une perfide bienveillance.
De son écriture vive et acide, Terence Rattigan signe un portrait sans concession du monde universitaire britannique de la fin des années 1940, de sa perversion, de ses bassesses. Bien que datée, la pièce, un petit bijou de cynisme et d’humour noir, fonctionne et séduit, notamment grâce à l’intelligente mise en scène de Patrice Kerbrat. Loin de vouloir moderniser le propos, il préfère en souligner la noirceur, l’acidité, la dramartugie. Ainsi, il met magnifiquement en lumière les blessures, les fêlures de ce professeur en fin de course, raté et confronté à ses échecs. Il signe un huis clos drôle et féroce, dont le point d’orgue est la relation amour-haine qui unit les deux époux, parfaitement interprété par Jean-Pierre Bouvier et Marie Bunel.
Lui, de sa voix chaude si reconnaissable, se glisse avec une aisance confondante dans le rôle de cet homme fragile à l’image d’acier. Lucide, éprouvé par la maladie, il courbe le dos sous les coups et les phrases sibyllines. Sombrant dans une apathie morbide, Blessé à mort, dans une dernière bravade, un dernier tour de piste, il révèle sa vraie nature, celle d’un homme cynique et mordant. Fascinant. Elle, belle et rayonnante, incarne avec brio cette femme castratrice, aigrie, manquant d’amour et de reconnaissance. Séductrice, enjôleuse avec les autres, elle est une harpie haineuse face à son mari. Tour à tour, bourreau ou victime, elle émeut quand elle ne joue plus et laisse apparaître son mal être, sa froide et désespérée solitude. Captivante.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La version Browning de Terence Rattigan
Théâtre de Poche-Montparnasse
75, boulevard du Montparnasse
75006 Paris
à partir du 1er septembre 2016
du mardi au samedi à 21h et le dimanche à 15h.
durée 1h25
Adaptation et mise en scène Patrice Kerbrat assisté de Pauline Devinat
Avec Jean-Pierre Bouvier, Marie Bunel, Benjamin Boyer, Pauline Devinat, Philippe Etesse, Nikola Krminac et Thomas Sagols
Décor d’Edouard Laug
Lumières de Laurent Béal
Costumes de Caroline Martel
Crédit photos © Pascal Gely