Accompagnée d’une guitare sèche, Charlotte Rampling prête sa voix, si singulière, aux mots de Frederick Seidel, un poète américain au style cynique et railleur. Du jeu de ses intonations, de la variation de ses souffles, et de la modulation de son débit, la comédienne souligne l’humour noir et le sens de la satire de cet auteur d’Outre-Atlantique. Emporté par les vers, leur rythmique, leur mélodie, on est séduit par leur lucide et froide beauté… un moment extatique, en somme !
Sur une scène vide, deux tapis persans à dominante rouge se font face. Côté jardin, une chaise et un pupitre attendent l’arrivée éminente d’une musicienne. Côté cour, c’est un bureau en bois au style ancien qui sert de décor. Quelques ouvrages sont négligemment abandonnés dessus. Ils suggèrent l’œuvre du poète dont les vers vont bientôt emplir l’espace du théâtre des Abbesses.
Dans le silence le plus total, sorties de derrière l’épais rideau noir, deux femmes s’avancent. La première est reconnaissable entre toute. C’est la plus française des comédiennes anglaises. Le cheveu gris, le regard tombant caractéristique, troublant, la longiligne et élégante silhouette, Charlotte Rampling nous invite à découvrir dans le cadre du Week-end Paris/New York organisé par le théâtre de la Ville, l’un de ses poètes préférés Frederick Seidel. Juste derrière elle, une jeune femme brune suit. C’est Varvara Gyra. Elle tient une guitare sèche et va ponctuer la lecture de la comédienne par quelques notes pincées du bout des doigts.
Les poèmes de Frederick Seidel n’ayant jusqu’à présent jamais été traduits en français, Charlotte Rampling nous propose une note d’intention avant de se lancer dans leur lecture en version originale non sous titrée. Durant une heure, elle nous entraîne dans les sombres pensées de cet écrivain atypique et satirique. Outrancier parfois, féroce souvent, il décrit le monde qui l’entoure avec un cynisme déroutant, une verve acide mais jamais dénué de lyrisme. Les mots choquent, les idées inquiètent, mais la musicalité de l’ensemble enchante et ensorcèle.
On se laisse bercer par la voix de la comédienne. Ses intonations, ses sourires, ses mimiques, soulignent la force caustique des propos qui se cache derrière leur violence, leur amertume. Avec une lucidité froide, une clarté inquiétante, Seidel autopsie le monde. Il le dévoile sans fard, avec une crudité féroce. Il ne cherche pas à faire du beau mais à faire du vrai, du réel du concret. C’est là, toute sa force. Il nous chamboule, nous déstabilise, nous pousse à réfléchir autrement sur la société, les villes, les gens. Triste, sombre, il poignarde l’harmonie, il transperce le voile de la bien-pensance et livre sa vision glaçante du monde qui l’entoure. Loin d’être pesant et noir, l’ensemble séduit et charme. On finit par oublier l’anglais pour se laisser totalement pénétrer par sa poésie iconoclaste et singulière, envoûter par la voix rauque et charnelle de Charlotte Rampling, captiver par les notes effleurées de Varvara Gyra… un joli voyage au pays des mots !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Poèmes
Texte de Frederick Seidel
Avec Charlotte Rampling et Varvara Gyra
Théâtre des Abbesses –Théâtre de la Ville
31 rue des Abbesses
75018 Paris
Crédit photos © DR -Wikimedia commons
Les compositeurs interprétés par Varvara Gyra : Brindle, Britten, Dyens, Iannarelli, Kleynjans, et Orestis Kalampalikis !