Une mère acariâtre et revêche, cousine éloignée de Tatie Danièle, une fille douce et candide, larve informe dont la chrysalide n’a pas encore révélé le lumineux papillon, sont le sel de cette comédie hilarante sur les relations familiales. Avec finesse et doigté, Slimane Kacioui et Aliocha Itovith s’emparent du touchant texte de d’Ana-Maria Bamberger et signent une pièce tendre, drôle et émouvante sur les non-dits et les secrets de famille. Porté par deux superbes comédiennes, le spectacle séduit par sa fraîcheur, son authenticité et sa justesse… Une bouffée d’oxygène bienvenue par les temps qui courent !…
Derrière des rideaux noirs translucides, on devine un décor fait de meubles en plastique transparent ne dissimulant rien de ce qu’ils renferment. Côté cour, une femme s’agite sur un fauteuil. Le pied bloqué dans un strapping, Marthe (hilarante Marie-Hélène Lentini) s’ennuie. Incapable de rester en place, elle tourne, retourne change de position toutes les 5 secondes. Au loin, un bruit de clé se fait entendre. Une voix fluette appelle : « Maman, c’est moi ! ». Elle se fige, pose tout ce qu’elle a dans les mains, et plonge dans un sommeil de circonstance. Une jeune femme apparaît. Jupe grise et pull rose informe, grosses baskets aux pieds, mal coiffée, Mathilde (excellente Dorothée Martinet), fille de la famille, fait son entrée. Comme tous les deux, trois jours, elle vient voir sa mère, lui apporter quelques courses, toujours les mêmes : beurre, thé, pain, etc.
Cette fois-ci, elle a décidé d’innover. Aux aliments habituels, elle a rajouté du poisson et une boite de petits pois. Face à cette proposition d’un repas peu ragoûtant, la mère incrédule, ne peut se taire, et laisser faire. Commence alors un ballet de mots acerbes et caustiques. Les répliques fusent avec vivacité et font mouche dessinant par petites touches les deux personnalités opposées de la mère et la fille. Marthe est flamboyante, drôle, extravertie, piquante et franche alors que Mathilde semble fade, psychorigide et morose. De ce pingpong verbal de haute volée, de ce règlement de compte familial, les non dits vont être révélés et les tensions enfin apaisées. Derrière les sarcasmes les paroles maladroites, la bienveillance se cache tapie dans l’ombre. Quand enfin les vérités seront dites, crues, violentes, assassines, les deux femmes enfin libérées vont pouvoir laisser libre cours à leurs sentiments et assumer leur amour filial, maternel et fusionnel.
Pour adapter cette comédie douce amère sans glisser dans le boulevard qui tache, il fallait toute la sensibilité de Slimane Kacioui. Avec finesse et délicatesse, il aborde les relations mère-fille sans jamais céder à la facilité, sans jamais tomber dans la caricature. Il dresse ainsi le portrait de deux femmes confrontées à la tromperie de leurs maris, répétant à vingt ans d’intervalle les mêmes erreurs. Aidé de son complice de Tant qu’il y a les mains des hommes, Aliocha Itovich, il signe une mise en scène au cordeau, aux dialogues percutants et à la rythmique diablement efficace. De rebondissements en révélations, on est happé par ce duo mère-fille absolument savoureux.
La complicité des deux comédiennes ne fait aucun doute, tant elles semblent s’accorder. Marie-Héléne Lentiri est épatante en mère acariâtre et sarcastique. Chacune de ses répliques tombe juste. Elle insuffle à son personnage une dimension humaine et sensible. Quant à Dorothée Martinet, elle se régale à s’enlaidir et s’amuse à jouer les pauvres filles. Portant avec malice des vêtements particulièrement hideux, elle donne à son jeu de belles nuances, tendres et touchantes, qui captivent. Se libérant enfin du cercle vicieux qui frappe les femmes de sa famille, elle se révèle lumineuse et éclatante.
Fuyez morosité et tristesse, et laissez vous embarquer par ce duo féminin, touchant et drôle… par cette comédie coup de cœur à déguster en toute simplicité !…
Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Poissons et petits pois ! de Ana-Maria Bamberger
Festival OFF d’Avignon
Théâtre de la Luna
1, rue Séverine
84000 Avignon
du 7 au 31 juillet 2016 à 15h45
durée 1h15
reprise au Théâtre Funambule Montmartre
3, rue des Saules
75018 Paris
jusqu’au 20 janvier 2019
Du mercredi au samedi
à 19h30 ou 21h (en alternance)
Le Dimanche à 16h
Adaptation de Slimane Kacioui
Mise en scène de Slimane Kacioui et Aliocha Itovich
avec Marie-Hélène Lentini et Dorothée Martinet
Scénographe et Créateur Lumière : Franz Laimé
Crédit photos © Franz Laime